Fury restera t-il aussi longtemps dans les esprits, comme le modèle incontesté, à savoir Il Faut Sauver le Soldat Ryan ? Peut-être pas, faute d'avoir pu lui voler sa couronne. Mais il était difficile de surpasser le Maître.
Fury est-il mauvais pour autant ? Bien sûr que non. Il s'assure une place de choix dans la lignée des grands films de guerre, et se place, phénomène d'autant plus remarquable, dans la catégorie des films traitant de la Seconde Guerre Mondiale, qui a été capable de fournir à la fois les plus chefs d’œuvres et les plus tristes tragédies.
La Seconde Guerre Mondiale était un thème que l'on croyait désuet depuis maintenant un moment dans le domaine audiovisuel : Utilisé à outrance, à plus ou moins bon escient par le jeu vidéo, délaissé depuis quelques temps par le cinéma, l'on n'y croyait plus. Et pourtant, il est là. S'il ne surpasse pas l'illustre prédécesseur, il fait au moins aussi bien dans un cadre beaucoup plus réduit, celui d'une journée, d'un équipage de cinq personnes, et relativement nouveau, tentant de se placer dans une sous-catégorie encore plus rare, celui des films plaçant leur intrigue à la fin du second conflit mondial.
Comme l'a dit Monsieur Ayer, il s'agit là de montrer un nouvel aspect, encore une fois relativement inédit : Il n'est plus d'actualité, dirons nous, de montrer des américains sauveurs, des couleurs chatoyantes, de faire voir une face de la guerre édulcorée qui n'a jamais existé et n'existera jamais. Le film est doté d'un fort contraste, qui peut rappeler le film L'Assaut (ou d'autres, évidement, mais c'est le premier exemple qui me vient), et qui donne d'entrée de jeu une ambiance plus pesante. Les soldats américains n'ont plus qu'un vague uniforme commun, sont sales, patauds, vulgaires, violents. Une année de combat depuis le débarquement leur est passée dans les dents, et cela se voit, littéralement.
Beaucoup de symboles, donc. Beaucoup d'interprétations : Comment ne pas relier cet officier SS qui exhorte ses dernières troupes à combattre l'envahisseur sur le sol national avant de partir le pas léger, dans le sens inverse, une fois ces dernières montées à l'assaut, à ces mêmes officiers exhortant au combat, alors qu'ils fuyaient ou se rendaient à Berlin ?
Une scène, particulièrement, me fait m'interroger. Lors de la prise d'une ville par les américains, le personnage de Brad Pitt et celui de Logan Lerman entrent dans un appartement occupé par deux jeunes femmes. Pendant de longs moments, silence. La situation est probablement volontaire, mais elle laisse un malaise : Viol, ou pas viol ? Finalement, pas viol. Est-ce une retenue, une volonté de ne pas choquer, de ne pas polémiquer à outrance ? Chacun aura son avis, peut-être aurait-il fallut aller jusqu'au bout de la dénonciation de l'idéal américain, peut-être la vulgarité et l'absence de pitié suffisait-elle, et en montrer davantage, n'aurait été, dans le cadre du film, qu'un rajout malsain et inutile.
Rien dans la réalisation de Fury ne semble inutile. Le personnage joué par Brad Pitt est excellent, et le montre bien : Il exécute un prisonnier, s'isole puis pleure. Est-ce caricatural ? Non, justement, Fury arrive à garder un très bon équilibre, même si la religiosité de certains personnages pourra en harasser plus d'un.
Les phases de tension et de -relatif- repos s'alternent et s'enchaînent avec brio, et on ne reste jamais bien longtemps sans s'accrocher à son fauteuil. L'ambiance étriquée du char Sherman est bien retransmise, durant tout le film. La musique est convenue : Il s'agit principalement de chœurs, mais qui font toujours leur petit effet dramatique quand il le faut.
Concernant la fin, aucun risque de spoiler : L'affiche suffit : "Les guerres ne s'achèvent jamais sans un dernier combat". Nul besoin d'être un très grand stratège pour deviner que l'on parle d'un sacrifice héroïque. A ce sujet, peut-être, un petit regret :
Faire exploser deux grenades à côté du corps de Brad Pitt, à l'intérieur d'un char, et le voir ensuite avec seulement quelques éclats au visage ? C'est le désavantage d'avoir un grand acteur : On ne peut définitivement pas le montrer éparpillé par petits bouts aux quatre coins de Berlin !
Le dernier combat de l'équipage du Fury est irréprochable, mis à part ce petit détail, au niveau de la mise en scène, de la façon de filmer, de l'usage de la fumée qui font tomber une sorte de nuit à l'américaine en quelques minutes seulement. Pas loin de la Chute du Faucon Noir, on n'entend plus que les balles siffler.
Rapidement, à propos des acteurs qui ne déméritent pas. J'ai déjà évoqué Brad Pitt, qui joue très bien le patriarche, le vieux sergent qui en a vu des vertes et des pas mûres ; Shia LaBeouf me fait oublier son rôle très agaçant dans le dernier Indiana Jones pour quelque chose de plus mûr, également, bien qu'il soit l'instigateur de très nombreux passages religieux qui peuvent fatiguer. Logan Lerman peut agacer, c'est compréhensible, mais uniquement du point de vue du spectateur : Dans le film, c'est normal. Il ne connait pas la guerre. Il ne connait rien, il est jeté dedans, dans ce tank rempli de vieux soldats qui ne se posent plus de questions. Ce film, c'est le sien, c'est un pur film d'apprentissage. Michael Peña aurait pu jouer l'hispanique qui crie des "Olé" toutes les secondes, mais comme je l'ai dis, c'est bien dosé. On n'y pense plus, on ne fait que penser à son rôle de conducteur de char, à ses interventions énergiques. Quant à Jon Bernthal, les adeptes de la série Walking Dead ne seront pas dépaysés : Il y reprend quasiment le même rôle. C'est lui, la voie du pragmatisme sale, de la nécessité violente. On le déteste, parce qu'il est bourru, sale, violent, parfois sans raison. Mais à la lumière de ce qu'il a vécu, peut-on le lui reprocher ?
Fury n'est pas le meilleur des films de guerre, parce que beaucoup sont excellents, et donner la médaille à Il Faut Sauver le Soldat Ryan comme je l'ai fait au début de cette critique, c'est renier le talent indéniable d'autres, qui bien que plus modestes dans leur réalisation, moins tonitruants et grandiloquents, nous font revivre le véritable enfer qu'est la guerre. Fury n'est pas une apologie de l'américain, c'est une apologie du soldat blessé, qui ne fait pas la guerre pour un idéal flamboyant, mais qui fait la guerre parce que maintenant qu'elle est commencée, il faut la finir.