Depuis ses débuts, David Ayer n’a jamais cessé de nous surprendre (agréablement j’entends !) : "Bad Times", "Au Bout de la Nuit", "End of Watch" et "Sabotage". Ces quatre films lui ont permis de prouver qu’il maîtrisait parfaitement les codes du polar noir/thriller, mais lorsqu’il a annoncé que son prochain film serait un film de guerre se déroulant en 1945, j’étais vraiment curieux de voir comment Ayer allait s’en sortir une fois sorti de son genre de prédilection. Et bien je n’aurais qu’une chose à dire : WAAAAHHHOOOO !!!! Quelle claque mes amis !! Nous proposant de suivre l’équipage d’un tank Sherman qui se voit attribué une mission à très haut risque bien au-delà du front sur le territoire allemand, Ayer décide de jouer la carte de l’ultra réalisme : nous dévoilant des images sombres dont les teintes grisâtres contribuent à un certain malaise, le réalisateur ne cherche absolument pas à nous vendre une vision ultra patriotique, propre et nécessaire de la guerre (c’est sûr que c’est pas lui qui aurait fait des films de propagande sur la guerre en Irak pour le gouvernement Bush !!). Non, ici c’est l’enfer : la gadoue, les corps mutilés, les obus qui pleuvent, les balles qui sifflent, le sang qui vous envahit les narines, la perte de tous repères…Les images sont froides, crues, âpres, elles dénoncent la stupidité de la guerre dans toute sa splendeur. Même les alliés sont présentés comme des types paumés : ils ont abandonné depuis belle lurette tout espoir que cette horreur s'achève rapidement, et se contentent d’être heureux de survivre à chaque journée tant ils côtoient la mort si souvent (chaque route, chaque maison, chaque recoin, chaque arbre, chaque colline…tout est potentiellement le théâtre imminent d’une tragédie). Alors, ils ne leur reste que peu de choses pour éviter de sombrer dans la folie au milieu de tous ces cadavres ; et Ayer ne se privent pas pour nous montrer ces petits moments de lucidité humaine comme les attentes dans le tank où les repérages à pieds, d’autant plus qu’ils sont assez rares et que la réalité les rattrape rapidement. Dans ce sens, la séquence de repos avec les deux jeunes allemandes suivi d’un repas est un très bon exemple de cette dualité de l’esprit humain en temps de guerre : durant cette scène, il y a un affrontement entre deux visions de l’humanité avec, d’un côté, ceux qui croient encore en la civilisation et, de l’autre, ceux qui ont adopté la barbarie du contexte…sans conteste l’une des plus belles scènes du film ! Alors certes, la dénonciation des horreurs de la guerre et de la folie qu’elles provoquent sur les soldats y participant n'est pas une nouveauté au cinéma, mais le récit doublé des images mélancoliques de "Fury" possèdent une incroyable force qui ne peuvent que marquer les esprits (et dans cette époque où les jeunes ont tendance à oublier l’histoire et à trouver normal et drôle de flinguer de l’humain à tout va dans les « Call of Duty », une petite piqûre de rappel ne fait jamais de mal !). mais je vous rassure : "Fury" n’est pas un pamphlet anti-militariste pour autant, il demeure bien un film de guerre avec des séquences de batailles très bien mises en scène, notamment celles avec les chars où Ayer a souhaité une reconstitution des techniques de combat d’époque extrêmement précise tout en filmant les escarmouches avec une incroyable aisance spatiale (la scène avec le Panzer est d’ailleurs absolument géniale : « virtuose », voilà le mot qui m’est venu à l’esprit en la voyant !!) La rage des combats est très bien rendue avec moults tirs, explosions, démembrements, écrasements ; mais toujours avec le souci qu’ils soient toujours lisibles. D'ailleurs à ce titre, Ayer va faire preuve d’un peu de zèle en attribuant une couleur aux balles traçantes utilisées dans chaque camp (vert pour les nazis et rouge pour les ricains). Alors oui, ça donne un petit côté "Star Wars" aux combats mais il s’agit tout de même d’une idée intelligente pour ne pas perdre le spectateur lors de ces échanges effrénés…et puis cela n’enlève rien au réalisme des séquences puisque je rappellerais aux incultes que les balles traçantes sont un type de munitions munies d'un dispositif pyrotechnique émettant de la lumière (rouge si elle sont faites en phosphore ou verte s’il s’agit de baryum) tout au long de la trajectoire vers la cible, ce qui les rend visible à l'œil nu et permet au tireur d'apporter des corrections à sa visée…et qu’elles ont été utilisées pour la première fois lors de la Première Guerre Mondiale. Donc, pas la peine de crier au scandale !! Pour ce qui est de la musique, le score de Steven Price est parfait dans le sens où ses envolées lyriques contribuent parfaitement aux images mélancoliques du film, lui donnant une empreinte onirique assez subtile et marquante. Quand au casting, rien à redire non plus, les cinq passagers du Sherman sont tout simplement nickels : Brad Pitt est tout simplement énorme, Michael Penà apporte un peu d’humour frais, Jon Bernthal est parfait en grande gueule, et même Shia LaBeouf et Logan Lerman m’ont enfin réconcilié avec leurs personnes grâce à leurs prestations justes. David Ayer vient définitivement d’entrer dans le club des réalisateurs à suivre en nous livrant avec "Fury" un film de guerre formidable mêlant habilement action et humanisme, même s’il n’échappe pas à quelques clichés du genre (héroïsme, les péchés à absoudre, la notion de sacrifice…). Avec tant de qualités de fond et de forme, il a tout pour être directement un classique du film de guerre. Je terminerais en citant la phrase la plus symbolique du film : « Les Idéaux sont pacifistes, l’Histoire est violente ».