"Le Cabinet du docteur Caligari" est un film allemand muet réalisé par Robert Wiene en 1919. Employant un format d'image 1,33:1, il s'agit d'un film appartenant au genre de l'expressionnisme tourné dans un noir et blanc teinté, sur une pellicule standard au format 35 mm. Le film narre en six actes comment, dans une fête foraine, l'énigmatique docteur Caligari prédit un avenir sinistre à Allan, un jeune étudiant. Effectivement, un somnambule, Cesare, est à son service pour accomplir ses prédictions, et tue tous ceux dont il prédit la mort au cours d'un spectacle. Au cours du quatrième acte, Jane, protagoniste féminine principale du film et amie de la victime, se retrouve à son tour la cible du somnambule. Dans la séquence étudiée composée de 6 plans différents présentés dans un ordre linéaire, celui-ci tente d'assassiner Jane alors qu'elle dort chez elle, après que celle-ci lui ait rendu visite dans la loge du docteur Caligari. À chaque changement de plan, le réalisateur utilise le cut. Chaque plan est fixe. La séquence, dénuée de tout dialogue, débute par la première apparition du plan d'ensemble retrouvé maintes fois au cours, montrant Jane à son aise, endormie. Elle se conclut par l'enlèvement de cette dernière par Cesare, sortant par la porte de l'arrière-plan et aux visages hors-champs. La séquence débute par le plan que nous retrouverons le plus au cours de la séquence: un plan d'ensemble, représentant la totalité du décor intérieur de studio qu’est la chambre de la jeune fille, dormant, la main sur le cœur. Cette position, particulièrement accentuée par le blanc dominant qui émane du lit, est un signe de la menace grandissante. La scène emploie un filtre bleu grâce à un film orthochromatique, afin d’imiter la vision de nuit des deux personnages, ainsi qu’une lumière fill light, lumière d'ambiance favorisant la vision des ombres. Le premier plan est coupé par un cut, amenant le spectateur à observer un décor de studio de type extérieur faisant écho à la précédente séquence du film. Plan de demi-ensemble montrant dans un premier temps, l'ombre de Cesare dans le champ, et Cesare lui-même en hors-vue, caché par un arrière-plan noir dominant une très large partie de l'image. Quelques secondes après, l'acteur apparaît plus lisiblement à l'écran, rampant ombre toujours projetée au mur. Il pénètre doucement dans la loge à travers une porte semi-cachée par des fleurs aux pétales rond, ne faisant qu'un avec la silhouette assombrie de la créature, reflétant ainsi l'impossibilité pour Jane de s'échapper. De nouveau précédé d'un cut, nous retrouvons ensuite le plan d'ensemble initial représentant au premier plan la femme assoupie sur son lit. Vêtue de blanc, reflétant la couleur du lit, nous observons alors une allégorie d'angélisme ; une âme pure dont la vie est égarée dans un conflit avec la folie (c'est-à-dire, le docteur et son somnambule). Le plan est immobile pour une durée de six secondes, découlant au troisième plan. Nous pouvons observer un plan de demi-ensemble se centrant sur la porte de la chambre, observant à l'arrière-plan de la précédente image. Caché derrière les barres d'un escalier menant à la chambre, Cesare, accroupie, observe sa proie. Petit à petit, il se lève et sort un couteau sorti de sa poche. Les représentations graphiques rondes peintes sur les rideaux, reliées à des formes triangulaires visant le plancher, sont à l'image de l'esthétique classique du genre de l'expressionnisme. En l'occurrence, les cercles, ouverts, rappellent les notes de musique symphonique composée par le chef d'orchestre Alfredo Antonini, tendue et cognant au rythme des pas du persécuteur. Quant aux triangles, ils annoncent l'apparition du couteau à l'image, à la dernière seconde du plan. Ainsi, nous observions dès le début les vestiges d'un élément bouleversant la vie de l'héroïne. Par la suite, le plan d'ensemble initial sur le lit revient rapidement avec un Cesare observable au dernier plan, avant de voir de nouveau apparaître le plan n°3. Sur celui-ci, la créature jette à sa gauche un morceau de bois en forme de croix: symbole de blasphème, l'antagoniste rompt avec toute règle de bienséance et s'apprête à assassiner sa victime. Le plan d'ensemble apparaît de nouveau, accompagné d'une âpre composition sonore. Cesare avance doucement entre deux chaises, représentant la stabilité du mal au coeur de la scène, ainsi qu'un éventuel confort pour Jane dans la scène où elle s'apprête à se faire kidnapper. Les deux personnages s'harmonisent au décor à l'instant durant lequel Cesare gravit l'estrade menant au lit de Jane. Nous observons une nouvelle fois une ombre triangulaire pointant le haut de la tête du tueur: idée de présence du mal absolu, c'est-à-dire, l'âme du docteur Caligari planant la scène et dominant les gestes de "son" somnambule. S'ensuit un plan rapproché poitrines au cours de deux secondes, se centrant sur Cesare brandissant le couteau au-dessus du corps de Jane. Egalement, pour la première fois dans la séquence étudiée, nous pouvons observer le visage de la créature: sauvage et furibond, le spectateur découvre de près le monstre au même emplacement que la victime. Puis, retour au plan d'ensemble, au cours duquel Cesare semble hésiter à accomplir son acte en observant Jane, encore assoupie. Il reste plusieurs secondes immobiles, couteau en l'air, en fixant la jeune fille d'un air vicieux. Il abaisse la main petit à petit en lui visant la tête. En lui touchant le front, elle bondit de stupeur et le monstre la saisit. A ce moment, nous nous retrouvons face à un nouveau plan rapproché poitrines changeant le format de l'image. En effet, la scène présentant les brutalités de Cesare sur Jane est perçue à travers un format rond, les caches noires étant ainsi favorables à se centrer sur les expressions faciales et les gestes des deux personnages. Les deux visages sont les seuls vecteurs de blanc du plan: la femme a les yeux fermés, terrifiée, et essaye de repousser Cesaire. Ce dernier effectue une expression faciale démoniaque. Interviennent par la suite plusieurs alternances de plan entre le plan rapproché poitrines (avec cache) et le plan d'ensemble, montrant tous deux Jane se débattre violemment dans les bras de Cesare. Ce dernier finit par l'arracher du lit blanc, l'extirpant ainsi de toute source de de paisibilité pour l'emmener dans le cabinet du docteur Caligari. Le mariage du noir (la combinaison de Cesare) et du blanc (le drap de Jane) représente la lutte entre deux forces contraires: le bien et le mal. Ainsi la femme étant arrachée du lit dans lequel elle était assoupie, c'est le mal qui remporte au cours de cette séquence. Le plan qui suit est un plan de demi-ensemble sur une chambre montrant deux villageois, dont Francis, réveillés par les cris de Jane. Le villageois de droite fait signe à son voisin de chambre de se lever pour découvrir la cause de ces hurlements. Vêtus de blanc, ils amorcent la suite du film, au cour de laquelle le somnambule, pris en chasse par les villageois, abandonne sa victime. Le dernier plan de la séquence choisie montre le bourreau quittant la chambre avec sa victime dans les bras. Les visages sont en amorce mais le dos de Cesare et le corps de la femme sont en plein dans le champ. Cette séquence porte ainsi une connotation particulièrement symbolique sur la représentation de la menace dans le film.