Je ne risque pas de trop m'avancer en qualifiant ce long métrage de film expressionniste pur et dur !
Tous les ingrédients y sont : photographie en noir et blanc ultra contrastée, jeux de lumières, jeux d'ombres (photo signée d'ailleurs par un fameux chef opérateur de Welles, Laughton et Lang : Stanley Cortez) et surtout un cadre qui colle en tous points à ce courant qui débuta en Allemagne dans les années '20 : la folie !
Enfin, la particularité de ces films, et non des moindres, c'est de critiquer, soit avec finesse, soit de manière cinglante, la société contemporaine de l'auteur.
Et si il y a une chose que Fuller ne lésine pas : c'est bien de cette manière à raconter très abruptement, grâce à une série de portraits de "gens devenus fous", les reflets malheureux d'une société qui court à sa perte : résidus du maccartysme pendant la guerre froide, ségrégation raciale, guerre, bombe atomique et pour finir, traitement dans les hôpitaux psychiatriques.
En ce qui concerne ce dernier point, l'internement en asile de fou, le sujet est également très fort chez les cinéastes de l'époque. Je veux parler par exemple (car ils sont nombreux) de l'excellent et difficile "Titicut Folies" de Frederick Wiseman, sorti quatre années plus tard et bien entendu de l'un des chefs d'œuvres de Forman : "One Flew Over the Cuckoo's Nest", sorti quant à lui en 1975.
Au final, la trame narrative (meurtre dans un hôpital psychiatrique) ne sert presque que de prétexte à une fronde farouche de la société.
Il faut bien saisir la nuance : les personnages rencontrés dans le film n'ont pas tous été fous depuis toujours, mais le sont devenus à cause de l'intolerabilité de leurs passés. Les événements qu'ils ont vécus ont été suffisamment puissants et odieux pour que la folie puisse être la seule "issue" possible à leurs malheurs. Les séquences oniriques en couleur pointent merveilleusement bien ce traumatisme en témoignant une certaine forme de lucidité latente, cachée au plus profond du subconscient.
Si le message est très fort, on pourrait toutefois reprocher à Samuel Fuller de ne pas avoir été plus subtil dans son récit. A défaut de l'être, le film en devient alors beaucoup plus pédagogique et nettement plus accessible, ce qui n'est au final, pas plus un mal que ça.