Dans les grands films où l’action se situe dans un asile psychiatrique, Vol au-dessus d’un nid de coucou est le titre qui on ne peut plus naturellement. C’est d’ailleurs le succès de la pièce initiale que Samuel Fuller sera décidé à adapter un vieux projet qui deviendra Shock Corridor, que l’on ne peut finalement pas vraiment comparer au film de Milos Forman tant le ton y est différent. Néanmoins, sur une toute autre échelle, le long-métrage de Samuel Fuller parvient tout autant à marquer. Plus qu’un banal film sur la folie, Shock Corridor est une véritable expérience, appelée à retourner le spectateur. C’est aussi un labyrinthe tortueux qui n’est ni plus ni moins que l’image des tréfonds de l’âme. Il y a tout d’abord cette collaboration avec un des plus grands chefs-opérateur du cinéma. Stanley Cortez, spécialement connu pour son travail sur La Nuit du chasseur, dont l’obscurité brillait alors de mille éclats. C’est ces mêmes éclairages qui confèrent à Shock Corridor son ambiance emplie de psychose. Cet univers cauchemardesque où les péripéties se produisent machinalement, de façon à empêcher la progression du protagoniste. Par ailleurs, le long-métrage tout entier est d’une esthétique superbe, où les plans en arrivent parfois à côtoyer le cinéma expérimental. Grâce à l’incroyable – et méconnu – Peter Breck, le film atteint des sommets de démence rarement vus au cinéma. Cela se voit on ne peut mieux, le but de Samuel Fuller n’était pas de filmer la meilleure histoire de tous les temps. Au contraire, le scénario est ici passé au second plan, pour privilégier l’exercice de style censé représenter à lui seul toute la folie qui peut s’accaparer l’esprit d’un être humain, initialement normal. Néanmoins, le réalisateur ne se limite pas à une simple expérimentation et va plus loin en appuyant là où ça fait mal. Sur la jaquette du DVD, on peut lire un commentaire de Scorsese disant que dans l’Amérique de Fuller, tout le monde était devenu fou. Effectivement, il ne faut pas longtemps pour voir dans son long-métrage une certaine dimension critique qui le fera d’ailleurs interdire dans le sud des Etats-Unis. En effet, à travers une galerie de personnages devenus des paradoxes ambulants – un rescapé du Vietnam qui se croit devenu général, un noir diablement raciste envers les autres noirs ainsi qu’un brillant scientifique réduit à vivre avec l’esprit d’un enfant de 5 ans –, Samuel Fuller entend parler respectivement de cette guerre du Vietnam, du Ku-Klux-Klan et de la bombe nucléaire. Autrement dit, trois zones sensibles qui reflètent merveilleusement bien la folie de notre monde. Il y a donc ce journaliste à l’ambition débordante, tenté de gagner le prix Pulitzer en trouvant l’assassin qui serait parvenu à semer la police. À travers ce protagoniste prêt à tout pour avoir ce qu’il veut – y compris se mettre à dos sa femme –, Fuller semble vouloir dire que nulle âme n’est incorruptible. De plus, la citation qui ouvre et clôture le film (non sans causer quelques frissons lorsque l’on comprend enfin son sens) « Celui que Dieu veut détruire, il te rend d’abord fou » semble elle aussi vouloir rendre des comptes à l’espèce humaine. Est-ce le surplus d’audace qui fut la source de ce final bluffant ? De toute manière, là n’est pas la seule question que l’on peut se poser après avoir vu cet étrange objet qu’est Shock Corridor. Cette merveille follement réussie et immensément osée. Après tout, ceux qui critiquent la société via l’exploration de la folie ne courent pas les rues et c’est très certainement pour cette raison que Shock Corridor peut avoir un tel impact sur le spectateur. Shock Corridor est une œuvre que l’on se doit de ne pas mettre entre toutes les mains, tant le sujet qu’elle aborde et les façons dont il est abordé s’avèrent éprouvantes. Séance de psychologie sans précédent qui se clôt par un immense frisson, suivi plus tard par un nombre incalculable de questions.