A force de trop jouer au fou, on le devient vraiment. C'est donc à cette conclusion de conte pour enfants qu'aboutit Shock Corridor. Seulement, Shock Corridor est très loin d'être un film pour enfants.
Shock Corridor, c'est une plongée dans le monde de la folie, où le spectateur boit la tasse autant que les personnages. C'est un film-choc, un film qui déstabilise toute notre confiance en ce qui nous entoure, et particulièrement qui nous force à revenir en arrière par crainte d'avoir imaginé ce que nous avons vu. C'est une preuve incontestable du talent de Samuel Fuller, dont les films à l'atmosphère pesante et aux acteurs suffocants de chaleur baignent dans l'hallucination et l'expérience sensorielle : on touche le film, on le sent, on sue avec les personnages dans cette folie fracassante.
Mais Shock Corridor ne serait rien sans la photographie de Stanley Cortez, dont les contrastes saisissants donnent au film tout son aura effrayante, et les mouvements de caméra glaciaux. On peut regretter les quelques images exotiques en couleurs qui rompent l'unité esthétique claustrophobe du film, mais cela n'entame pas beaucoup l'aspect terrifiant du film.
Ce qui doit être le plus terrifiant est que nous suivons le personnage principal et on s'identifie facilement à lui dans le cadre de l'enquête qu'il mène, et on est rassuré de le voir simuler la folie (il échoue dans le bureau du psychiatre quand machinalement il remet un tableau à l'horizontale, mais cela nous rassure cette fois de sa sanité). Ainsi, on s'égare en même temps que lui dans les abîmes de la folie, et si le cadre ne nous déstabilise pas totalement comme lui (et pourtant, pour une fois la voix-off est utile et nous plonge dans les pensées du héros comme si elles lui étaient étrangères et venaient du lointain), si nous ne devenons pas fous pour autant, le lien tissé entre nous et le héros se casse avec une violence inouïe, et notamment lorsqu'il est enfin parvenu à trouver ce qu'il cherchait - ce que nous cherchions, il fracasse le crâne du fou qui faisait son portrait, en hurlant : "that's not me !" Il a dès lors perdu toute faculté de jugement, il a perdu son identité dans le couloir de la folie. Shock Corridor ne nous remet pas en question nous-mêmes, comme on pourrait le prétendre pour bien des films, mais il nous bouleverse tellement, que nous ne pourrons jamais plus faire confiance aux personnages que nous suivons, aux films que nous voyons ou que nous croyons voir : à la fin de ce film, c'est presque comme si nous doutions que c'en était un.