Qui ne connait pas William Turner, le grand peintre britannique, l’homme qui est passé maître dans l’art de sublimer le ciel, le soleil et l’océan ? Ses toiles dégagent une certaine lumière, douce et poétique, propice aux rêveries. Quelles ont été ses inspirations, à lui qui a en quelques sortes introduit le grand mouvement impressionniste ? Comment lui est venue cette idée de peindre par touche, de laisser des détails dans le flou pour sublimer un ensemble ? D’où vient cette fascination pour la mer et le soleil ? J’aurais aimé dire que le film de Mike Leigh donne au spectateur quelques pistes plus ou moins fondées pour comprendre comment fonctionne le brillant esprit de Turner, d’imaginer comment son regard embrasse la vie, et comment il la restitue sur une toile. Ce n’est cependant pas le parti pris qui a été choisi. Le film, sorti en 2014, opte pour un point de vue plus personnel, pour l’aspect humain avant l’aspect artiste de Turner. Or, il se trouve que les historiens n’ont pas pu retracer entièrement la vie de l’homme. Si certains évènements clés restent certains, il est impossible de reconstituer avec précision un portrait psychologique du grand monsieur. Alors dans ce cas, pourquoi en avoir fait un être si vil et antipathique ? Pourquoi ne pas lui avoir rendu hommage en le présentant comme un homme bon, certes avec des faiblesses humaines, mais agréable. Non seulement inventer un tel caractère aurait concordé avec l’éclat et la pureté des aquarelles et autres peintures à l’huile, mais cela aurait aussi permis de ne pas ternir l’image que chacun se fait de ce grand homme ! Un rôle étrangement écrit, où il devient difficile de mettre de côté sa passion pour les toiles historiques sans ressentiments envers l’artiste fictif qui est développé : un porc incapable de retenir ses plus primaires instincts, un homme froid et calculateur, un être peu loquace et rarement affectueux. Difficile d’imaginer comment le personnage de Mrs. Booth, qui elle est une vraie touche de fraîcheur, peut finir par succomber aux "charmes" du peintre répugnant. Répugnant. Oui c’est bien le mot. Timothy Spall est répugnant. Pas dans tous ses rôles, mais dans celui-ci si. En version originale, l’acteur grogne comme un animal à chaque fois qu’il donne son approbation. Ces raclements de gorge terriblement délicats ne font que rapprocher l’homme de la bête incapable de se réfréner. Le jeu de Spall est inégal. Parfois touchant vers un réalisme salvateur, l’acteur impressionne de justesse. Des scènes intimistes où une timidité enfouie refait surface touchent. En dépit de cela, il y a des passages qui perdent toute crédibilité en raison de la façon grotesque dont l’acteur joue. Grognements encore lors de la mort du père de Turner, pleurs tellement accentués devant la fille de joie que ça en devient gênant et/ou risible, etc. Dans le film, Turner est un héros grognant qui ne touche la grâce que lorsqu’il se tait pour laisser parler son pinceau, et c’est dommage. J’aurais apprécié plus de scènes où l’on voit l’homme chercher l’inspiration, préparer ses couleurs, et les apposer avec passion sur la toile. Car ces rares moments sont ceux où le film prend toute sa saveur. Mise en scène magnifique, sobre et posée ; photographie lumineuse qui magnifie les paysages ; musiques agréables et immersives... Techniquement, le film est un chef d’œuvre qui propose des plans beaux comme des tableaux. À côté du portrait de son héros, Mike Leigh glisse aussi quelques pistes sur l’évolution sociétale et technologique de l’époque, autant pour aider le spectateur à se situer que pour démontrer la curiosité du peintre, à l’affut de la moindre innovation. Un film comme « Mr. Turner » écœure. Mike Leigh et ses scénaristes tenaient là un grand sujet d’étude, un biopic où ils pourraient être libres de rendre hommage à un immense peintre. Pourtant, et inexplicablement, ils ont décidés d’en faire un être abject, quitte à ce que leur film donne une vision erronée du grand homme. Pourquoi ? Les grands mystères de l’esprit humain....