Vous est-il déjà arrivé de bloquer chez votre vendeur préféré de blu-ray devant une jaquette d'un film un peu atypique, maudissant l'étiquetteur d'avoir foutu cette saleté de prix sur le synopsis au dos du film et en étant déjà intrigué alors que c'est une sensation que vous ressentez de moins en moins dans le cinéma ? Eh bien perso, c'est ce que m'a fait Locke quand j'ai vu le boitier à la Fnac.
Grosso modo, c'est l'histoire d'un mec qui prend sa voiture mais qui part vers un hôpital au lieu de rentrer chez lui. 99% du film se passe sur 3 caméras embarqués, le long d'une route qui semble presque sans fin (le premier écueil qu'esquive le film de justesse mais j'y reviendrais), avec un certain Ivan Locke, incarné par un Tom Hardy particulièrement naturel qui explique la raison de ce voyage par appel interposé via le système téléphonique de sa BMW.
L'intrigue du film, qui ne s'épargne pas des moments finalement psychologiquement dur, a deux personnages physiques, et six personnages téléphoniques. Ces derniers sont tous passionnants, et si on ne les voit jamais, leur simple voix leur confère beaucoup de psychologie malgré tout. Quant aux deux personnages, on y trouve Ivan et la route (ainsi que tous ses utilisateurs), ainsi qu'éventuellement un lien du passé d'Ivan qui le pousse à faire le choix de ce voyage.
Il peut sembler un poil prétentieux de dire que tout le monde ne pourra pas apprécier ce film mais dans les faits, je le pense sincèrement, sans penser que celui qui ne l'appréciera pas n'est qu'un immonde crétin. Le thème principal de ce film porte sur nos choix, ceux qui nous définissent, ceux qui construisent et ceux qui détruisent. A cela s'ajoute le thème de la filiation, des erreurs de nos pères et de la volonté de ne pas poursuivre une lignée qu'on juge mauvaise, ainsi que le prix de nos erreurs. Ivan Locke est un homme décidé, prêt à en payer tous les prix parce qu'il a choisi
que tout ce qu'il a construit (famille, profession) a moins de valeur que celui de refuser de perpétrer les erreurs de son père.
. Et ce faisant, il va rouler le long d'1h24 sur cette route tout en expliquant ses choix, tout en tâchant de faire pour le mieux.
Bien souvent, on en arrive à penser que ce film pourrait se traduire par la locution populaire "l'enfer est pavée de bonnes intentions" mais le thème des choix est brillamment mis en scène par Steven Knight. Les reflets des phares qui parcourent le front d'Ivan, comme s'il réfléchissait, pesant le pour et le contre de chacun de ses mots, les agents de la DDE qui coupe les routes en deux, comme une métaphore des routes que nous choisissons de prendre, et même le nom du héros, qui est "enfermé" avec le spectateur dans l'habitacle de cette voiture pour ce voyage qui changera tout, les idées de mises en scène sont excellentes. Les reflets du héros, comme des visions d'un autre lui qui aurai fait d'autre choix sont également magnifiques, les interprétations ne manque pas. Et c'est là qu'est la grande force du film : Résonner chez le spectateur pour qu'il s'interroge aussi sur SES choix, ce qui l'a motivé à prendre cette route plutôt qu'une autre, ce qu'il perpétue ou coupe, les valeurs qu'il défend... Ivan Locke devient finalement un miroir, non pas de ses choix par rapport à nous, mais du questionnement de pourquoi nous avons choisi ça plutôt qu'autre chose, et ce que nous construisons et détruisons à chacun des embranchements.
Le film arrive d'ailleurs à devenir par moment anxiogène, avec cette sensation de ne pas sortir de l'habitacle plus loin qu'en dehors de la carrosserie pour mieux voir le flanc du véhicule et les lumières qui reflète les autres. Même les autres voitures sont des métaphores des milliards d'autres personnes qui suivent des routes différentes... Chapeau bas pour la mise en scène, je suis subjugués !
Le film titille cependant la ligne de la longueur. Aucune scène n'est foncièrement inutile, elles montrent tous un pan du personnage physique et des personnages téléphoniques, mais comme le héros le rappelle souvent en disant que la circulation est fluide et qu'il arrivera dans 1h30, puis 1h15, puis 1h... le temps finit par se dilater et on finit par avoir l'impression que ce voyage s'éternise. Dans le contexte du film, ce n'est en fait pas un défaut, il est d'ailleurs plutôt synchro sur la durée, le maximum qu'il devait atteindre avant de provoquer réellement l'ennui. Mais il reste que parfois, on est comme Ivan, à trouver le temps un poil long. Encore une fois, au vue du contexte du film, ce n'est pas un défaut, mais je l'ai ressenti à deux reprises et c'est ce qui m'a vraiment fait hésiter sur comment noter le film. Puis je me suis demandé ce qu'il m'avait apporté, le questionnement qu'il a crée et j'ai fini par me dire que pour un film conceptuelle, me toucher à ce point avec une telle économie de moyen et des acteurs fabuleux, ça relève du chef-d'oeuvre. Donc arrêtons de tourner autour du pot, Locke est génial, je vous invite à le voir un soir, bien confortablement installé dans votre canapé, seul ou avec quelqu'un de silencieux et à vous une belle introspection !