Il faudrait rebaptiser ''Rogue One''. Car après l'échec scénaristique grave de ''Star Wars : Le Réveil de la Force'' de J. J Abrams et avant le semi-échec de ''Star Wars : Les Derniers Jedis'' de Rian Johnson, ''Rogue One'' vient redonner une bouffé d'air frais à la saga. Renommons-le donc ''Un Nouvel Espoir'' tant il s'inscrit en sauveur de ce mythe intergalactique qu'est ''Star Wars''. Pourtant moins ambitieux que les épisodes 7 et 8 (dits ''officiels''), ''Rogue One'' est précisément le film qui relance avec énergie et intelligence la saga, prouvant que l'influence de Disney n'est pas totalement néfaste pour la série.
Le film est le 1er spin-off cinématographique de ''Star Wars'', si on exclut toutefois ces perles nanaresques que sont ''Star Wars : Holiday Special'' et autre aberrations, aujourd'hui disparue de nombreux esprits. Les évènements de ''Rogue One'' se déroulent juste avant ceux de l'épisode 4. L'Empire pour assouvir son autorité a mis en place une arme capable de détruire une planète toute entière : l'Etoile de la mort. Mais un groupe de rebelles a réussi à mettre la main sur les plans de cette Etoile, ce qui permettrait de trouver une faille dans le système de cette machine de guerre. Le film se concentre donc sur ce petit groupe de rebelles qui sont parvenus à transmettre les plans à la Princesse Leia Organa. Sur le papier, le film n'augure rien de bon. La raison est dûe à la contrainte scénaristique : celle qui consiste à vouloir ''coller'' à tout pris à l'épisode 4, au risque de trop privilégier l'histoire aux personnages (quand est-ce que la série prendra enfin un véritable tournant scénaristique?). On aurait pu s'attendre à un film très prévisible : on sait ce qui s'est passé avant et après les événements de cet épisode. Pourtant, force est de constater que, sur une intrigue dont on connaît les tenants et aboutissements, ''Rogue One'' nous surprend plus que les scripts censés être ''originaux'' des épisodes 7 et 8.
''Rogue One'' divulgue une curieuse sensation pour un blockbuster. Une sensation de tristesse. Certes, il y a déjà eu avec les précédents Star Wars des moments tristes et sombres, mais ''Rogue One'' surprend par sa tonalité globale. Cela s'explique sans doute d'abord par les personnages. Sur un film qui n'appartient pas à une trilogie et qui est résolument tourné vers l'action et vers la guerre, les scénaristes ont quand même bien pris le temps de développer le background des protagonistes. Et de tirer de ces protagonistes une grande tristesse liée à leur passé. L'héroïne ? Une jeune femme apatride, haissant l'Empire et la Résistance qui n'accepte de travailler pour celle-ci que pour retrouver son père, l'ingénieur de l'Etoile de la Mort, complice de la Rébellion. Le héros ? Se livrant corps et âme à la Résistance, c'est un tueur glacial et méthodique (il abat froidement un homme dans la première scène où il apparaît). Même le droïde K-2SO, présent pour faire de l'esprit dégage quelque chose de funèbre : son look noir s'associe au fait qu'il est un ancien droïde impérial, reprogrammé pour servir la Rébellion. Car c'est ça ''Rogue One'' : un film sur la Résistance, au sein d'un régime dictatorial. Plutôt que de rester sur le schéma efficace mais aujourd'hui trop remâché des gentils résistants face aux méchants dictateurs, Gareth Edwards privilégie une approche plus réaliste en s'interrogant sur ce qu'est une Résistance. ''Rogue One'' est le 1er Star Wars à creuser véritablement ce monde de l'ombre où cohabitent de nombreuses personnes et de nombreux points de vue. Cette diversité au sein de l'Alliance Rebelle, elle est illustrée avec le personnage de Saw Gerrera (Forrest Withaker), un dissident de la Rébellion. Homme violent, il semble lui aussi être la proie au passé (''lie, deception''hurle-t-il à propos de la Résistance, qu'il juge trop laxiste).
En abordant ces soldats de l'ombre (personnages qu'on avait peu vus dans Star Wars), Gareth Edwards livre un film parfois désespéré. Désespéré, et réaliste. Ainsi, Edwards rompt avec la rigueur classique qui était de mise dans les précédents films (Lucas préférant en effet se reposer sur la qualité hors du commun des effets spéciaux). Il décide une approche plus frontale et terre-à-terre dans ses scènes d'action. Cela se remarque dans l'utilisation de la caméra à l'épaule (qui renforce l'aspect immersif de ces scènes d'action) mais aussi dans le rôle accordé à l'échelle. C'est sur ce point-là que ''Rogue One'' est très novateur : on peut apprécier le travail accordé à la taille, au gigantisme de cet univers et de ses composants. Plusieurs exemples peuvent être pris pour illustrer cette idée. On se souvient que Lucas filmait les detroyers en nombre et à leur ''hauteur''. Or, Edwards préfère filmer à hauteur d'homme. Un seul destroyer filmé en contre-plongée fait peser un lourd sentiment d'inquiétude. De même, l'Etoile de la Mort n'est plus une simple boule qui tire un rayon laser. Edwards la met particulièrement en valeur. Une fois de plus, il filme parfois depuis la terre l'Etoile, laquelle devient une véritable menace. Le jeu sur les ombres participe aussi à cet aspect plus sinistre. On peut par exemple penser à ce plan magistral où la caméra filme d'abord un Tie fighter avant de filmer un destroyer qui était caché dans l'ombre. Le destroyer semble se trouver sur un fond étoilé. Nouveau plan : le fond étoilé se trouvait être les fenêtres de l'Etoile de la mort, qui était elle aussi cachée dans l'ombre. Mais le meillleur exemple de cet notion de gigantisme, c'est sans conteste la séquence de la destruction de la capitale de Jedha. Parmis la peuplade de défauts qu'accumulaient ''Le réveil de la force'' (on n'a toujours pas fini de les lister...), on peut citer l'indifférence totale ressentie devant la première utilisation de la Starkiller (qui faisait office de nouvelle Etoile de la Mort). Dans cette scène, plusieurs villes étaient détruites en l'espace de quelques secondes : et c'est très simple, on s'en fichait complètement. ''Rogue One'' réussit avec une ville là où ''Le réveil de la Force'' échouaient avec quatre planètes puiqu'il nous fait prendre conscience de l'ampleur de la destruction et des vies qui se sont éteintes. Dans l'épisode 7, on ne ressentait rien car l'explosion des planètes n'avait droit qu'à un seul plan depuis l'espace. Ici, Gareth Edwards filme l'explosion depuis l'espace et carrément sur la planète (on se met alors à penser à Hiroshima) où les héros font face à un gigantesque raz-de-marée de pierre (
et où Saw Gerrera se livre délibérément à la mort comme tous les protagonistes du film
Mais le réalisme du film et son côté frontal ne risquent-pas de trahir l'esprit de Star Wars ? Non, car Gareth Edwards n'a pas oublié de prolonger l'univers. Ceux qui avaient trouvé ''Le réveil de la Force'' avare en décors originaux ne seront pas déçus ici. Dès la scène d'ouverture, on est face à un environnement qu'on ne connaît pas : une planète où les planètes sont verdoyantes mais où le sol est noir. On peut aussi citer cette planète montagneuse inondée par la pluie (ce qui nous vaut une scène magnifique où l'obscurité de cette planète est perçée uniquement par les néons des X-wings). Et quelle bonne idée de situer la grosse scène d'action finale sur une plage qui serait paradisiaque sans les installations métalliques de l'Empire.
''Rogue One'' est donc un Star Wars original. Rien à voir avec l'épisode 7 qui embourbait la saga dans un hommage stérile. Néanmoins, Star Wars semble dorénavant avoir les yeux tournés vers le passé. Certes, ''Rogue One'' offre quelque chose de nouveau, mais on retrouve bien des choses des films précédents. Si Gareth Edwards renouvelle la manière de filmer les vaisseaux que l'on connaît bien maintenant (style X-wings, Tie fighter, Destroyer et Etoile de la Mort), il réintroduit certains anciens personnages. Et là, le pari se casse à moitié la gueule. Passons sur la scène clin d'oeil où l'on voit R2-D2 et C-3PO, innofensive et inutile. En revanche, constatons l'échec de la résurrection de Peter Cushing, alias Grand Moff Tarkin. Revoilà tout en numérique l'acteur mort en 94. Et le problème n'est pas de savoir se cela se voit ou non, c'est le manque d'expression criant de la ''reconstitution'' du faciès de l'acteur. Ainsi, on a le visage de Peter Cushing, mais il lui manque ses expressions. Pire encore : était-ce vraiment nécessaire de faire apparaître à la toute fin Léia ''Inutile et mal fait'' ont dit les détracteurs du film à propos de cette apparition. On ne peut cette fois-ci que leur donner raison. Mais le plus important, c'est évidemment le retour de Dark Vador. Et là, on peut le dire : on est gâté ! Les deux scènes où il est présent sont excellentes et sont très travaillés (on sent que le réalisateur s'est dit qu'il ne devait absolument pas rater le come back D V). On aurait pu craindre un retour de Dark Vador juste pour satisfaire les fans. Mais ce n'est pas le cas, Gareth Edwards évite le piège en refusant de donner un rôle prédominant à Dark Vador (et prouve qu'on peut faire un Star Wars sans méchant tout de noir vêtu) : en ce sens il ne cherche pas à revenir aux vieilles recettes, à ce qui marchait avant. La première scène avec Vador fait renaître en nous des souvenirs (idéé très séduisante que celle de faire de la résidence de Vador une forteresse sur Mustafar, lieu de son échec face à son ancien maître Kenobi ; comme si Vador ne pouvait découdre de ce funeste affrontement). Et la deuxième... Toujours en jouant sur l'obscurité, Edwards refait naître le temps d'une courte scène Dark Vador, le vrai, celui qui terrifiait toute la galaxie. Peut-être est-ce une des meilleurs scènes mettant en présence le seigneur noir. Enfin, le dernier rapport qu'on peut établir entre ''Rogue One'' et les précédents films concerne la Force. Au centre de tous les films Star Wars (puisque chaque épisode présente un protagoniste extrêmement réceptif à la Force), la Force se fait plus discrète dans ce spin-off. Et c'est tant mieux, compte tenu des débilités scénaristiques qu'elle offrait dans ''Le réveil de la Force''. Justement, la beauté de ''Rogue One'' réside aussi dans le fait qu'il ne reste d'elle que des vestiges. C'est ce que représente cette énorme statue de Jedi effondrée ainsi que ce temple Jedi pillé par l'Empire. L'idée présente dans ''Les derniers Jedis'', à savoir que la Force et les Jedis sont d'ordre religieux trouve sa source dans ce film à travers le personnage de Chirrut Imwe (Donnie Yen). Moine, gardien du temple, non voyant (mais certainement pas non-croyant), il semble être plus où moins sensible à la Force. C'est un personnage qui trouve tout-à-fait sa place dans l'univers puisqu'il ne faut pas oublier qu'à l'origine, Lucas s'est inspiré de l'univers asiatique pour créer Star Wars (d'où des noms à connotation nippone, style Obi-Wan Kenobi). Imwe fait écho à ''La forteresse caché'', le film de Kurosawa qui inspira Lucas. Et, bien entendu, on pense aussi fortement à Zatôichi, le guerrier aveugle japonais.
''Rogue One'' est donc le film salutaire d'une saga abîmée par un J. J Abrams trop référentiel. Sans révolutionner Star Wars, il est clair que ce spin-off lui redonne du souffle. En renouant avec un tragique digne de ''La Revanche des Sith'' (
tous les personnages périssent dans ''Rogue One''
), la fin parvient même à être très émouvante. Bien joué (quel dommage que l'excellentissime Mads Mikkelsen n'apparaisse pas d'avantage !), bien mis en musique (la BO de Michael Giacchino est tellement supérieure à celle de John Williams pour les épisodes 7 et 8), ''Rogue One'' est donc un film à recommander à tout le monde.