Le long résumé du film donne une idée de la complexité de cette affaire à mi-chemin entre le drame passionnel et le grand banditisme. Honnêtement, il n’est pas facile de comprendre les tenants et les aboutissants de ce fait divers vieux de 35 ans. Mais pourtant, André Téchiné nous livre un film clair, presque limpide, on ne perd jamais le fil de cette histoire compliquée et qui, en plus, touche à des sphères qui nous sont très étrangères. Alors que je craignais le pire (ne pas m’y retrouver, ou pire, m’ennuyer), je crois avoir assez bien compris l’engrenage dans lequel Agnès est tombé, tant sur le plan financier que sur le plan sentimental. Le casting de ce film est impeccable, Catherine Deneuve est parfaite, surtout dans les scènes de fin où, vieillie, elle s’accroche à rendre justice à sa fille, elle est très touchante. Adèle Haenel incarne une Agnès Le Roux difficile à cerner, surtout au début. Pas franchement sympathique, son côté « petite fille riche qui se la joue cool » peut énerver et j’ai eu du mal, je le reconnais, avec son personnage et l’interprétation qu’en fait Haenel. Dans la première moitié du film, je la trouvais un peu « à côté » de son personnage mais dés qu’il lui a fallu incarner la détresse amoureuse, elle est parfaite. Guillaume Canet, lui, est la vraie star de ce film : charmeur et indéchiffrable, ambitieux, manipulateur, menteur, irrésistible par moment, franchement inquiétant à d’autre (la définition du pervers narcissique), il livre un Maurice Agnelet qui fait froid dans le dos parce qu’on sent bien, dans la salle, que nous aussi on aurait bien du mal à résister à quelqu’un comme lui, tant il manipule Agnès avec machiavélisme. Les scènes où il l’éconduit avec plus ou moins de ménagement sont presque douloureuses à regarder, tant elles sonnent justes. C’est très bien réalisé et surtout très bien monté, avec des très jolis plans dans l’arrière pays niçois et dans les Alpes. Des petites astuces de montage (les larmes d’Agnès mêlés à ceux de sa mère, à 30 ans de distance) rendent très bien. Certaines scènes peuvent paraîtres un peu décalées, essentiellement celles où il y a de la musique (danse africaine, chanson dans la voiture, chants corses) elles sont un peu déconcertantes surtout qu’elles durent un peu en longueur. Mais dans l’ensemble, il n’y a pas de superflu chez Téchiné, c’est soigné (la reconstitution des 70’s est sans faute), c’est peaufiné, c’est réglé au millimètre. C’est du cinéma très classique qui manque peut-être un peu de modernité. Alors évidemment, le principal écueil de ce film, c’est qu’il ne livre aucune clé que le destin d’Agnès. Il ouvre la porte de toutes les possibilités par des scènes, des petits détails, des phrases lâchées comme çà ou au contraire des silences. S’est elle suicidée ? A t’elle été assassinée ? S’est elle noyée accidentellement ? Téchiné ne pouvait évidemment pas en dire plus (au moment du tournage, le 3ème procès Agnelet était en cours !) mais on sent qu’il penche quand même d’un côté. C’est un tout petit détail qui me met la puce à l’oreille, une date… Mais je n’en dirais pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui voudrait aller voir ce drame en salle. Je les y encourage d’ailleurs, par cette bonne critique. En ce désert cinématographique qu’est l’été 2014, « L’homme qu’on aimait trop » (superbe titre, au passage) est un très bon plan.