Près de 10 ans après sa dernière réalisation, The Great Debaters, Denzel Washington est de retour derrière la caméra avec Fences. Il s'agit de son troisième long-métrage en tant que réalisateur après Antwone Fisher (2003) et The Great Debaters (2007).
Fences est tiré de la pièce de théâtre du même nom écrite en 1983 par August Wilson et récompensée du Prix Pullitzer en 1987. Elle a également remporté le Tony Award de la meilleure pièce la même année.
Denzel Washington a découvert l'oeuvre du dramaturge August Wilson en 1984 avec la pièce Ma Rainey's black bottom. Ce dernier en est ressorti bouleversé, à la fois par la force de ce récit et la prestation de Charles Dutton :
"Je n’avais jamais entendu parler de lui et j’ai alors mené mes recherches et découvert qu’il avait fait de la prison, où il avait commencé à s’intéresser au métier d’acteur, et puis qu’il avait étudié à la Yale Drama School. Quand j’ai vu cette pièce, je ne connaissais pas August Wilson. J’ignorais qu’il allait écrire d’autres pièces extraordinaires, mais quelque part le point de vue qu’il défendait trouvait un écho chez moi. Je me souviens très bien de cette soirée au théâtre où j’ai été stupéfait et ému", se souvient le comédien.
Denzel Washington et Viola Davis ont déjà incarné Troy et Rose Maxon dans cette même pièce à Broadway en 2010. Le rôle de ces parents luttant pour le bien de leur famille a même valu aux deux comédiens un Tony Award, l'équivalent de nos Molières :
"C’est une comédienne d’une puissance formidable. C’est vraiment le terme qui me vient à l’esprit : la puissance", déclare Washington.
Denzel Washington a connu l'auteur August Wilson à travers une rencontre qui s'est déroulée sur une journée au début des années 2000 (Wilson est mort en 2005) :
"J’ai pris l’avion jusqu’à Seattle où il vivait à l’époque. Il a plu toute la journée et August n’a pas arrêté de fumer. Et il écrivait. Il écrivait Gem of the Ocean, son avant-dernière pièce, et mon agent m’a conseillé d’aller le voir. Du coup, c’est ce que j’ai fait et on a bavardé toute la journée. Il m’a parlé du contexte dont
il avait besoin pour écrire ses pièces : il verrouille toutes les portes, il ferme les fenêtres et il écrit ensuite ce que les personnages lui disent d’écrire. Le message qu’il voulait me faire passer, c’est qu’il écrivait ce qu’il se sentait obligé d’écrire. Je comprenais très bien ce qu’il voulait dire. Je me souviens parfaitement de cette journée. C’était une journée formidable", confie l'acteur.
Chose assez rare au cinéma, Fences a été tourné dans l'ordre chronologique :
"Je suis comédien avant tout et je sais à quel point cela peut faire la différence. Je sais ce qu’on ressent quand on est acteur. Souvent, vous débarquez sur le plateau le premier jour du tournage et vous commencez par tourner la scène finale à un moment où vous ne savez même pas comment votre personnage en est arrivé là. Du coup, on a essayé de tourner dans l’ordre chronologique à chaque fois qu’on le pouvait", analyse Denzel Washington.
Fences a été tourné dans le quartier de Hill District à Pittsburgh où August Wilson a grandi et où neuf de ses pièces, dont Fences, se déroulent :
"Je ne connaissais pas ce coin avant de me rendre sur place, de découvrir les lieux et d’y rencontrer les habitants. Il était évident que je tenais à tourner à Pittsburgh et dans le Hill District", explique Denzel Washington.
En revanche, le quartier a beaucoup changé depuis les années 50, époque à laquelle se passe l’essentiel du film. Des pâtés de maison entiers ont disparu. Des commerces ont fermé leurs portes :
"Le quartier précis où vivait August, au sud du Hill District, n’existe plus. On est allés plus au nord et on a trouvé des rues qui n’avaient pas du tout changé. Il a suffi de supprimer les barreaux des fenêtres et de remplacer les voitures actuelles par des voitures d’époque", poursuit le réalisateur/comédien.
Les habitants ont adoré assister au tournage. Le quartier tout entier s’est mobilisé dans ce but :
"On avait le sentiment d’être entre voisins. C’était l’occasion de mettre Pittsburgh en valeur. C’est là que vivent ces gens et August est leur héros, leur écrivain, et c’était donc l’occasion de lui rendre hommage", ajoute l'acteur.
Si Viola Davis déclare que sa perruque grise l'a beaucoup aidé à entrer dans la peau du personnage de Rose, Denzel Washington raconte quant à lui que pour entrer dans son rôle, il lui fallait sa bouteille de Gin du vendredi soir si chère au personnage de Troy.
Denzel Washington a fait appel au compositeur Marcelo Zarvos pour la musique de Fences :
"Ce que j’ai dit à Marcelo, c’est qu’il fallait être dans la retenue à tout point de vue. C’est comme une maison. Si chaque pièce est surchargée, l’ensemble est raté. Les pièces doivent être complémentaires pour qu’au final la maison soit belle, sans que l’une ou l’autre ne soit trop marquée. Je ne veux pas dire par là que c’est ce que faisait Marcelo, mais c’est mon rôle de coordonner les différents éléments de la bande-son : la musique, les dialogues et les effets sonores", explique le réalisateur.
Petite leçon de travail sur le montage par Denzel Washington :
"La question qui se posait était de savoir à quel moment tel ou tel acteur devait apparaître à l’image. Quand un personnage parle pendant de longues minutes, on ne peut pas filmer la même personne pendant tout ce temps. Du coup, il faut savoir à quel moment couper pour cadrer son interlocuteur. Je me souviens d’en avoir parlé à ma femme et elle m’a dit : « Cette fois, je n’ai pas forcément à regarder tous les personnages en même temps ». Je lui ai répondu : « C’est logique puisqu’il s’agit d’un film ». Au théâtre, le spectateur peut décider qui il a envie de regarder : il peut même dévisager un comédien qui ne parle pas. Mais au cinéma, on ne peut pas se contenter de faire un plan large pour cadrer tous les acteurs : ils seront tous filmés de profil. Il faut donc faire des choix. Et c’était une démarche assez longue. Pourquoi filme-t-on Cory et pas sa mère alors que c’est elle qui a un long monologue ? À quel moment est-il important que le spectateur sache qu’il l’écoute ? Ou qu’il voie l’effet que cela produit sur lui ? C’est le genre de questions qu’on se pose."
Denzel Washington avait un petit rituel chaque jour de tournage, demander à August Wilson (plus exactement à son esprit ou son âme) ce qu'il pensait de son travail :
"Ce n’était pas qu’un simple rituel. Lorsque je ne trouvais pas de réponse à un problème, à un défi ou à un dilemme, je me disais parfois que c’était parce qu’August n’était pas satisfait. Ça m’est arrivé tout au long du tournage. Pourquoi n’a-t-il pas mis cet élément à cet endroit ? Eh bien, sans doute parce qu’il n’en voulait pas. Que se passerait-il si je le mettais quand même ? Parfois, on évoque plusieurs idées jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’elles ne sont pas bonnes. Mais il faut bousculer ses certitudes. Il faut constamment se poser des questions", confie le cinéaste.
La rapport à la religion est très présent dans l'oeuvre d'August Wilson ; Denzel Washington en donne son ressenti :
"Je préfère le terme de « spiritualité » car dès qu’on parle de «religion», l’homme s’en mêle. Il a tendance à penser que sa religion est la bonne et pas celle de son voisin… De toute évidence, August était habité par la spiritualité, tout comme moi. J’essaie de faire en sorte que chaque geste de mon quotidien soit empreint de spiritualité. Je commence ma journée par une prière. Je ne dis pas aux autres ce qu’ils sont censés croire et je n’aime pas le mot de « religion ». Parce qu’à mes yeux, c’est une invention de l’homme. Ça sent l’homme à plein nez."