Une fois n’est pas coutume, je vais commencer cet avis par une mise en garde : si vous n’aimez pas le cinéma bavard, alors "Fences" n’est pas pour vous. Dans le cas contraire, il devrait vous séduire parce que de nombreux thèmes y sont abordés : la mort, la vie, leur philosophie, les responsabilités, l’expérience et les enseignements offerts par la vie, les relations parents/enfants, les handicapés mentaux, l’adultère, l’amitié, l’évolution du monde… Des thèmes importants et inévitables, si importants que j’ai supposé que Denzel Washington avait tourné ce film dix ans après sa dernière réalisation uniquement parce qu’il a trouvé un écho fulgurant dans la pièce de théâtre qui lui a été permis de voir. En effet, comment peut-on porter à l’écran un sujet qui nous tient à cœur si ce n’est de prendre le fauteuil du réalisateur, d’endosser le rôle principal, et accessoirement de participer à la production ? D’autres l’ont fait, et avec succès ! Kevin Costner par exemple, avec son formidable "Danse avec les loups". Mel Gibson aussi l’a fait, avec son retentissant "Braveheart". D’autres en ont fait de même. Alors pourquoi pas lui ? Sauf qu’il ne s’est pas occupé de l’écriture du scénario, bien que je le soupçonne de l’avoir suivie de près ou de loin. Remarquez, il avait fort à faire, notamment avec un rôle difficile. Et quand on connait son immense talent, rien n’est insurmontable pour lui. Et ma foi, il a animé son personnage avec une maestria absolument bluffante, ce qui n’est en soi pas du tout une surprise. Tour à tour enchanteur et inquiétant, à travers Troy Maxson, il fait preuve d’une omniprésence qui ne laisse guère de place à personne. D’ailleurs cette présence de tous les instants sera bien confirmée par la bouche même de Rose Maxson, interprétée par Viola Davis. Ah tiens parlons un peu de cette actrice afro-américaine. Elle aussi est extraordinaire, et il faut savoir être patient pour la voir enfin s’exprimer avec le cœur. Un peu comme quelqu’un qui vit dans l’ombre de quelqu’un d’autre. Et c’est parfaitement rendu à l’écran puisque c’est toute l’histoire de la vie de son personnage. Malgré tout, il y en a d’autres qui parviennent à bien tirer leur épingle du jeu. A commencer par Stephen Henderson, lui qui a prêté ses traits à ce bon bougre de Jim Bono. Qu’est-ce qu’il est attachant ! Immanquablement, on a envie de l’avoir dans le très fermé cercle d’amis. Je parle bien évidemment des vrais amis. Et puis il y a Mykelti Williamson, résolument touchant en Gabriel, dit « Gaby ». Après, tout est mis en images avec beaucoup de sobriété, avec tout le sérieux que les divers sujets abordés imposaient. Seuls quelques plans astucieux parsèment une réalisation somme toute assez classique. En témoigne ce plan donné sur Troy à travers les anses d’un panier (ou d’un sac, je ne sais plus). Il n’empêche que nous avons droit à des scènes fortes, et la première ne tarde pas à venir. Aux alentours de la vingtième minute si je ne m’abuse. Et elle intervient entre Lyons (Russell Hornsby) et Troy. Ce dernier donne là une facette inattendue de son personnage, alors qu’il nous paraissait encore à peine quelques minutes plus tôt si sympathique, si volubile, si imaginatif, si… flamboyant. Et c’est là que nous est dressée toute la complexité d’un portrait à travers un personnage pas né à la bonne époque et qui décline au fil des années qui passent. En tout cas, c’est par ce personnage à la fois plaisant et inquiétant que la narration se distille au gré d’une belle profondeur dans les dialogues, avec des échanges où chaque point de vue exposé paraît juste, où chaque parti semble avoir raison dans son point de vue. C’est en cela que "Fences" est remarquable : chaque situation, chaque thème abordé est décortiqué selon tous les points de vue possibles et imaginables.