Adapté fidèlement un roman à succès, en l’occurrence ici Les Apparences de Gillian Flynn, pourrait s’apparenter à un exercice aisé pour un mastodonte de cinéma tel que David Fincher. Beaucoup de films déboulant dans les salles obscures sont des adaptations. Il en a toujours été ainsi. Pour autant, si beaucoup de cinéastes se cassent les dents en massacrant une œuvre littéraire ou en prenant maintes libertés pour distancier les œuvres, David Fincher, lui, s’enorgueilli simplement d’avoir choisi le bon bouquin. Oui, ici le réalisateur ne réinvente pas l’eau tiède, sûre du potentiel d’un tel récit, d’un travail parfaitement dans ses cordes, là où il pourra laisser exprimer son génie de mise en scène et son amour pour les polars traditionnels. Gone Girl, en dépit de son ingénieuse intrigue, de son impressionnant climat malsain fait de mensonges et de trahisons, s’affiche pourtant comme un projet peu ambitieux dans la carrière d’un cinéaste ayant fait de la création de Facebook une chef d’œuvre du cinéma, ayant fait vieillir Brad Pitt à rebrousse-poil ou ayant tout simplement livré le plus charismatique thriller de ces cinquante dernières années.
Mais pourtant Gone Girl est une gifle, une de ces bonnes vieilles claques que seules les maîtres de cinéma savent nous flanquer. Classique, oui, mais tout de même surprenant, brillant, son film est une déclaration d’amour à tout ce que fût jadis les intrigues policières et les grands thrillers de ses prédécesseurs. L’autre force de cette adaptation réside sans le moindre doute dans son casting. Outre une Rosamund Pike sortie d’une manche quelconque, qui livre une prestation vraiment glaçante, la venue d’un Ben Affleck tout embourgeoisé dans le rôle du mari est un pari gagnant pour le metteur en scène. La béatitude permanente du comédien, ajoutée à son sourire innocent, en font le candidat idéal pour incarner cette soi-disant victime. La tension monte, au fil des quarts d’heure et le comédien ne perd jamais le fil, toujours parfaitement coordonné avec les avancées du récit, toujours prompt à un naturel très admirable. Ce n’est pourtant pas lui qui se verrait récompenser de son interprétation, mais bel et bien sa comparse féminine, plus logiquement, du fait d’une composition tonitruante. Une nouvelle Rosamund Pike est née.
Tout en sobriété, sans éclats ou artifices ringards, David Fincher déroule. Il filme ses protagonistes aussi bien dans une forme d’intimité malsaine que leurs apparitions ou leurs statuts auprès des masses. Plus qu’un simple polar, Gone Girl est aussi, en deux temps, une critique acerbe du mariage et de l’univers de médias. En effet, le couple et ses valeurs sont la clef de voûte d’un film qui renvoie directement aux pires conflits conjugaux ayant faits les gros titres auprès des médias. Des médias, justement, qui pimentent le travail de la Police en rassemblant son public pour alléguer, essayé à tort de mettre d’accuser, de traîner dans la boue. Le rôle de la télévision, des journaux, prend ici une place prépondérante dans le destin des personnages, principalement du mari. Ce sous-thème, aussi efficace que sordide, est traité très adroitement par le metteur en scène qui parsème son film d’extrait de show, enchaînement de spéculations nocives qui rendent impossible à la Police d’y voir clair.
Voilà donc un film inespéré à l’heure des grandes libertés prises par les studios pour manager eux-mêmes les films qu’ils produisent. David Fincher est un artiste à part entière et livre un produit fini, non coupé en post production, non retourné pour satisfaire des égos. Cette adaptation appartient tout bonnement à son créateur de génie, partageant le mérite avec son auteur sur papier, deux personnages qui ont eu le bon goût de collaborer pour livrer le thriller de l’année 2014, en somme l’équivalent de Prisoners l’année précédente. Un film majeur qui s’inscrit parfaitement dans la filmographie de Fincher, l’homme qui transforme le thriller en lingots d’or. 18/20