Gone Girl s’ouvre sur un visage, féminin, radieux, trop peu – ou trop mal – filmé jusqu’ici : celui de l’actrice Rosamund Pike. Par-dessus, une voix off, masculine, chaleureuse : celle de son mari, Ben Affleck, qui trouve là, sans doute, le rôle de sa vie. Il aimerait savoir, confie-t-il benoîtement, ce qu’il y a dans ce crâne ; il aimerait tellement le savoir, ajoute-t-il, qu’il serait prêt à l’ouvrir pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. Le ton est donné. La dernière fois que quelqu’un a eu cette pensée chez Fincher, c’était dans Seven, et personne n’a oublié comment ça s’est terminé : au fond d’une boîte…
Après une courte entrée en matière, Ben Affleck se voit accusé par la police, bientôt suivie par le voisinage, les médias et la nation toute entière, d’avoir assassiné sa chère épouse, disparue sans rien laisser d’autre qu’une poignée d’indices épars, et un carnet intime où elle raconte la dégradation inéluctable de leur couple…
De fait tout l’accuse, ce pauvre homme un peu falot au sourire trop bright (le rôle de sa vie, on vous dit), à commencer par le genre dans lequel s’inscrit son histoire : le film d’homme fatal et de femme fêlée (faute de meilleure appellation), genre qui fit florès dans les années 40 grâce à quelques joyaux d’Hitchcock (Rebecca et Soupçons) mais aussi de Lang, Mankiewicz, Cukor, Minnelli ou Tourneur…
Pendant une petite heure, David Fincher orchestre son thriller (adapté d’un best-seller de Gillian Flynn) avec la méticulosité d’un sphinx, se pourléchant les babines de savoir ce que nous ignorons encore, tel le chat du couple qui a forcément tout vu depuis sa couche impériale. Les motifs sont connus, et on pourra cocher consciencieusement les cases du Fincher-film : un crime et un jeu de piste, du cynisme et de la folie, du brouillard médiatique et même un peu d’illusion romantique… Sans compter un trio de femmes filoutes (et pas nécessairement fêlées) qui, après Millénium, confirme le goût du cinéaste pour ces personnages.
Quant à la manière, elle est peu ou prou la même depuis Zodiac et l’introduction dans l’équation d’une caméra HD : vitesse, profusion et fluidité la caractérisent, comme si le regard du spectateur se devait de glisser sur l’écran de la même façon que les suites de 0 et de 1 filent sur les circuits intégrés qui désormais nous gouvernent. Tout cela est brillant, mais ne fait rien d’autre que briller.
Mais soudain, laissant un peu Hitchcock (ici beaucoup cité, notamment dans une scène de douche géniale dont on ne révélera pas les enjeux) pour rejoindre Fritz Lang (celui de L’Invraisemblable Vérité, mais aussi, pourquoi pas, celui du Mépris…), le cinéaste redistribue les cartes et commence dans l’heure et demie restante un nouveau film, existentialiste, totalement vertigineux dans sa façon d’alterner les points de vue et de varier les tonalités.
Frisant souvent la farce, Fincher y fait le portrait joyeux d’une Amérique comme fabrique à monstres et réaffirme son credo : le monde est une mise en scène, une illusion, à laquelle rien n’échappe et certainement pas le mariage, avec sa promesse absurde – ou sublime, c’est selon – de garder, tout au long de sa vie, les yeux grand fermés – eyes wide shut, comme disait l’autre.