Dans GONE GIRL, adaptation d’un best seller dont la scénariste, Gillian Flynn, est l’auteure, David Fincher, dans une manipulation très hitchcockienne, explore les fissures que le temps apporte à toute union, aussi lisse soit-elle en apparence. Les premières phrases de Nick Dunne (Ben Affleck) à propos du contenu de la (jolie) tête de sa femme résument à peu près tout : que devient l’amour du couple au quotidien après cinq années de vie commune? Mystère qui tourne à la paranoïa avec le temps et dont le plan à la fin du film répond partiellement à celui-ci.
Dans la première partie, Fincher nous dépeint au vitriol la société occidentale actuelle et ses médias en général, prompts à s’investir dans une cause qui n’est qu’un simple fait divers, symptôme d’un grand désarroi sociétal. Il s’attarde plus particulièrement sur une collection de petits monstres féminins bien pensants, telle la voisine aussi bien attentionnée qu’assoiffée de sensationnel vengeur (Casey Wilson géante), la garce au selfie qui dégénère en piège à deux balles, ainsi que la vedette de la télé avec son sourire carnassier habillant une complète absence d’éthique au nom de l’audimat, le tout emballé dans un dégoulinant sirop de faux bons sentiments et de pensées bien formatées. Le summum étant atteint lors de la scène de repentance du mari infidèle devant les caméras de la télévision, pour le plus grand plaisir des masses et de l’avocat cynique (pardon pour le pléonasme).
Au milieu du film, après une synthèse de l’intrigue exprimée par Nick (assez gonflé de la part de Fincher), l’histoire bascule dans la machination élaborée par un monstre qui, de meurtre en chausses trapes, piégera Nick qui de plus semble se satisfaire de cet état. Vraiment ?
Certains films semblent touchés par la grâce. C’est le cas de GONE GIRL Premier miracle, Ben Affleck enfin convaincant dans le rôle d’un gougeat lâche et oisif, ex journaliste occasionnel et professeur d’écriture créative à l’université du Missouri, laissant le soin à sa femme (qu’il trompe avec une de ses étudiantes) et sa sœur jumelle (qui tient un restaurant financé par ses beaux parents) de faire bouillir la marmite. Ce personnage détestable avec son air de ne pas y toucher et son sourire ambigu (Fincher a choisi Affleck pour cela), incapable d’endosser le costume que les circonstances exigent, lui permet de trouver le rôle de sa vie. Deuxième miracle : Rosamund Pike, actrice plutôt connue pour ses utilités décoratives (DIE ANOTHER DAY, THE LIBERTINE, TERRE PROMISE, etc.…), campe ici une héroïne représentant une synthèse entre l’hitchcockienne Marnie avec Tippie Hedren dans le rôle titre et la sulfureuse Catherine Tramel interprétée par Sharon Stone dans BASIC INSTINCT de Paul Verhoven (la scène du meurtre me paraissant encore supérieure chez Fincher). Le reste du casting est épatant avec une mention pour les autres femmes, de la sœur jumelle (Carrie Coon pour son premier rôle au cinéma) à la godiche aussi sexy que stupide (Emily Ratajkowski, cantonnée jusqu’alors à des clips) en passant par la détective Rhonda Boney, tiraillée entre doute et conformité (Kim Dickens). Parfaitement photographié par Jeff Cronenweth (FIGHT CLUB, THE SOCIAL NETWORK, MILLENIUM pour Fincher), ce casting exceptionnel est soutenu par la justesse de la musique composée par Trent Reznor et Atticus Ross. Quant à la mise en scène, le réalisateur démontre une fois de plus qu’il est un technicien à la virtuosité avérée. Cette maestria certaine n’exclut pas un montage d’une précision d’horlogerie suisse, permettant des respirations au sein d’une tension qui ne faiblit jamais. Du très grand art.
Il est possible de détester Fincher dont la virtuosité peut finir par exaspérer au nom du dilettantisme relâché d’un certain cinéma, mais il reste un des rares cinéastes à développer un vrai fond (parfois contesté au nom de la bien séance, cf. les critiques à propos de FIGHT CLUB) dans ses œuvres. Ce fond dont le cinéma actuel manque cruellement.