David Fincher est un des meilleurs réalisateurs de ces vingt dernières années et s’offre le luxe, depuis quelques années, de surprendre à chaque nouveau film, souvent annoncé comme un plantage assuré et qui parvient à convaincre les plus récalcitrants. Après le fantastique "The Social Network" (qui traitait de la naissance de Facebook) et le remake plus que réussi de "Millenium", il s’attaque à l’adaptation du roman "Les apparences" de Gillian Flynn qui partait avec un double handicap : le risque de décevoir les lecteurs qui connaissent les rebondissements qui font tout l’intérêt du livre et la présence, en tête d’affiche, de Ben Affleck qui a su s’imposer comme réalisateur à Hollywood mais qui peine encore à faire l’unanimité sur son jeu. Mais, Fincher a su démontrer un flair infaillible pour les castings et prouve, une fois encore, qu’il ne s’est pas trompé en allant chercher, chez l’acteur, ce que lui reproche ses détracteurs : un jeu parfois trop monolithique traversé par des sourires de circonstances. Et ce sont ses défauts qui permettent au réalisateur de crédibiliser son propos en distillant le doute dans l’esprit du spectateur quant à sa responsabilité dans la disparition de sa femme. Ben Affleck campe, ainsi, Nick, un parfait modèle de l’américain typique (avec sa carrure de footballeur, sa mâchoire carré, sa fossette tellement viril au menton, son goût pour le triptyque télé-bière-canapé…) qui voit sa femme disparaître dans des circonstances particulièrement inquiétantes… mais qui reste, pour autant, très calme, poli et souriant avec tout le monde ! En égratignant son héros trop parfait par des défauts assez encombrants
(menteur, infidèle, égoïste, potentiellement violent…)
, Fincher contraint le spectateur à se mettre dans la peau des personnages, qui peinent à comprendre ses réactions alors que les indices s’accumulent contre lui…
ce qui rend le twist scénaristique, qui arrive à mi-bobine et qui sera le premier d’une longue liste, d’autant plus terrible pour le public !
Le coup de génie de Fincher est incontestablement de s’être servi de son intrigue pour dresser un portrait au vitriol du rêve américain qui voit l’idylle d’un jeune couple amoureux virer au cauchemar, sous les huées haineuses d’une société qui réclame vengeance sur la base d’informations déformées par le prisme médiatique. Car, plus que l’enquête sur la disparition (qui est déjà passionnante en soi), c’est bien cet état des lieux (avec la place des médias dans la société) qui est au centre du film, avec ce constat amer que, dans une société où tout va trop vite, les apparences priment toujours sur la réalité. Fincher ne sombre pas, pour autant, dans la leçon de morale pesante, et ce grâce, d’une part, à l’humour noir qui traverse le film du début à la fin (et qui vient considérablement aérer le récit) et, d’autre part, à la qualité de l’interprétation. Car, outre un Ben Affleck formidable, on retrouve la méconnue Carrie Coon en formidable sœur protectrice, l’inattendu Neil Patrick Harris en ex névrosé, un Tyler Perry étonnement crédible en avocat star ou encore la trop rare Kim Dickens en inspecteur tenace. La grande surprise du film reste, néanmoins, la prestation extraordinaire de Rosamund Pike, épouse parfaite sur touts les plans
qu’on découvre peu à peu bouffée par ses démons intérieurs (elle fait parfaitement ressentir toute la frustration de celle dont l’enfance a été volée par son modèle papier, créé par ses parents qui l’ont bien plus aimé qu’elle)
. L’évolution de son personnage, sa transformation physique ou encore son incroyable regard sont autant de prouesses qui font d’elle une sérieuse prétendante à l’Oscar. Dès lors, que peut-on reprocher au film ?
Certains y ont vu une dérive misogyne mais les défauts si masculins de Nick ainsi que le rôle si touchant de sa sœur interdisent, à mon sens, un tel jugement (sauf à considérer qu’un rôle de femme à l’écran doit être forcément pacifique).
Tout au plus, pourra-t-on considérer que le scénario est, parfois, un peu trop tiré par les cheveux
(le plan d’Amy, malgré quelques imprévus, se déroule un peu trop facilement)
mais force est de constater que les quelques rebondissements qui flirtent, parfois, avec le peu vraisemblables renforcent le final qui restera comme
un grand moment d’injustice qui s’inscrit dans la grande tradition des films de Fincher (de "Alien 3" à "Zodiac" en passant par "Seven").
"Gone Girl" est, donc, une époustouflante réussite dont le sujet et son traitement ferait presque passer au second plan, la superbe photographie, la discrète mais efficace BO et l’extraordinaire qualité de la mise en scène qui brille par son montage audacieux et son rythme incessant. Bref, "Gone Girl" est sûrement un des meilleurs films du maître... et peut-être le meilleur film de l'année !