Nouvelle adaptation d'un best-seller, énième thriller, un peu pantouflard le David Fincher ?
Vous oubliez Zodiac, le soi-disant Seven 2. Vous oubliez The Social Network, le film facile bien de son époque. Vous oubliez Millénium : Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes, ce remake inutile.
Alors prière d'oublier votre première impression au lancement de Gone Girl. Quand le réalisateur culte s'engage, vous finissez régulièrement sur le cul et la tête retournée. L'un des meilleurs twists du film consiste à remettre sur les points sur i. Mais les autres ne sont pas moins satisfaisants, veuillez me croire.
Se lamenter que Fincher soit éternellement raccroché au même genre est une erreur. Déjà parce que ce serait occulter The Social Network, House of Cards ou Benjamin Button, pas des petites choses hein. Et plus fondamental, quand on parcourt sa filmographie, il y a t-il le sentiment de radotage ? Je vous le donne en mille : non. Le génie, c'est de savoir qui est derrière la caméra dès les premiers plans et découvrir à chaque séance un nouveau cadre. Comme ses prédécesseurs, Gone Girl a de multiples visages mais on ne peut trop en dire car certains facettes se révèlent en cours de route.
Le jour de leur cinquième anniversaire de mariage, Nick signale la disparition de sa conjointe Amy. Il ne faut pas longtemps pour que l'évènement filtre dans le voisinage, les médias et réseaux sociaux,...
Comme souvent avec le metteur en scène, ça débute par une énigme.
"Qui as tué ?", "Qui mens ?", "Qui dit la vérité ?", "Qui est le Zodiaque ?", "Qui est Tyler Durden ?"
À force de pratiquer le David Fincher, on mesure que la réponse ne sera pas tant une résolution qu'une porte d'entrée. L'adaptation des Apparences (signée par l'auteure Gillian Flynn elle-même) commence à peine à dérouler son programme "thriller du samedi soir" et voilà que l'animal se rebelle. Ce n'est pas de la frime, les chambardements vont régulièrement faire grincer la mécanique. Ça ne va pas être facile. Gone Girl est un récit à plusieurs couches, elles se succèdent, s'empilent voire se confondent. Le menu ne manque pas de sel. Il est bien pimenté aussi.
Sur le fond, ce nouvel uppercut se rapproche davantage d'un Fight Club.
En 1999, les hommes se mettaient sur la tronche pour fuir le consumérisme, quitte à échanger leur existence fadasse pour une cause encore plus malsaine. En 2014, le mariage est disséqué pour en extraire les illusions et la génération 2.0 a aboli la frontière réel/illusion. Il n'y a plus de faits. Il n'y a plus d'individus. S'il y en a, tout le monde s'en moque. Carrément. C'est à la fois terrifiant et jubilatoire. Avec sa précision coutumière, David Fincher happe son spectateur le long de ses 2h29. Les plans au scalpel, le montage au cordeau et l'objectif concentré sur l'essentiel. Ça tape très fort, précisément là où ça fait mal.
Personne n'est à l'abri, Gone Girl arrose tout le monde aux lance-flammes même si ça n'empêche pas un minimum d'empathie pour plusieurs personnages. Mais gare aux coups bas, certains ont peut-être plus sales qu'ils le laissent voir. Mais tous sont parfaitement castés.
Avec son passif chez les tabloïds, Ben Affleck était prédestiné pour ce rôle de playboy terne. Fincher prend un malin plaisir à jouer sur l'impassibilité du comédien, parfaitement à son aise pour faire douter. Le comique Tyler Perry échange l'outrance pour le cynisme et c'est exquis. Neil Patrick Harris tord son image de séducteur (Barney Stinson dans How I met your Mother). La charmante Emily Ratajkowski se paie le rôle idéal pour susciter les réactions les plus enflammées d'une gent à une autre.
La direction d'acteur a beau être magistrale, il faudrait admettre que Rosamund Pike est prodigieuse. Son visage à lui-seul demeure une énigme dont on continuera à chercher les indices et les failles bien après la vision du film. De loin le rôle complexe et le plus marquant du film, et de la carrière de l'actrice.
J'ajouterai cependant l'épatante Carrie Coon, lueur d'espoir au milieu d'un panel assez peu reluisant.
Et pour sa troisième collaboration avec Fincher, Trent Reznor concocte une merveille de bande originale. La réussite est totale : leçon de mise en scène, leçon de narration, bref leçon de cinéma.
On ressort de la séance encore secoué par le beauté et la force du geste. Et évidemment excité devant le flot de réflexions que va amener cette nouvelle référence. Difficile d'en dire plus sans en dire trop. Mais sachez qu'on est dans le top du top de ce qu'a pu donner le réalisateur de Zodiac et The Social Network. Avec Gone Girl, il livre son troisième chef-d'œuvre en 7 ans. Il a beau donner l'impression de jouer à domicile, Fincher ne se repose jamais sur ses lauriers. Il le prouve une nouvelle fois avec une offrande qui ne va pas mettre longtemps avant d'être pillée de toutes parts.