De retour à la réalisation, Alan Rickman revisite l’Histoire au travers d’un récit romanesque mettant en scène l’architecte paysagiste André Le Nôtre et une certaine Sabine de Barra, atypique figure de femme a priori indépendante. Toutefois l’étonnante modernité de l’approche se double d’un classicisme des plus affectés et d’un sentiment d’artificialité laissant proprement dubitatif. À la veille de l’installation de Louis XIV (Alan Rickman) à Versailles, André Le Nôtre (Matthias Schoenaerts) est chargé d’en élaborer les jardins. En quête de paysagistes pouvant le seconder, il reçoit Sabine de Barra (Kate Winslet) qui, au cours d’un bref entretien d’à peine quelques minutes, le séduit par son audace et sa franchise. Il lui confie la réalisation du "Bosquet des Rocailles". Se lançant entièrement dans l’aventure, la femme doit alors faire face à la réalité de la Cour dont elle ne maîtrise pas les codes et ignore les intrigues… L’ouverture du film nous demande un double travail, celui d’accepter la convention de la langue anglaise (dont la richesse se révèle presque shakespearienne) et l’univers du Roi Soleil tel que fantasmé par Alan Rickman. Mais puisque Louis IV a un rêve, et des exigences, il s‘agit de plonger dans les coulisses de sa mise en place… Trop sirupeux et farouchement mielleux, l’angle d’approche tend à se fondre au regard de Sabine de Barra à qui donne vie avec talent Kate Winslet. Nous la découvrons telle une héroïne moderne incarnant une figure féministe qu’aurait oubliée l’Histoire (comme tant d’autres) dont l’indépendance et la force de caractère sont lumineuses. Toutefois, elle se précipite incommensurablement dans une romance aussi improbable que cousue de fil blanc tandis que son autonomie et son insoumission laissent place à une fragilité grossière (dominée par la culpabilité). L’écriture est efficace et vise à faire de nous les témoins du désarroi de l’héroïne, de son élan maniéré et d’une complicité purement démonstrative avec quelques dames et, presque par magie, le Roi. Elle permet aussi de se fondre ponctuellement au ressenti de Le Nôtre et de changer radicalement de point de vue afin d’assurer quelque suspens (en anticipant le drame, un paradoxe intéressant). Les dialogues sont à ce point léchés que cela en devient une gageure rendant l’écriture proprement palpable. Une impression tristement renforcée dans une séquence en flashbacks qui, en plus d’être ridicule, ôte toute crédibilité à Sabine de Barra dont la personnalité plus que de se redessiner s’efface alors au risque de nous consterner. Soignée, la mise en scène, dont le rythme contraste avec les jeux de langage, oscille entre un classicisme raffiné et un désir évident de rendre le récit et les (maigres) enjeux contemporains. Et c’est entre une pompeuse orchestration musicale et un goût pour l’anachronisme (notamment les vastes lits où se perdent, lancinants, les protagonistes) que la figure de Sabine de Barra s’impose presque comme incongrue : cheveux au vent et sac en bandoulière, elle semble se rendre à la Cour en revenant de Woodstock. Personnage hétéroclite, elle permet de poser un regard critique sur la noblesse de l'époque. Avec élégance et raffinement, Alan Rickman signe une romance historique tendant à renouer avec un vieux cinéma de tradition... Avec "Les Jardins du Roi", Alan Rickman souhaitait revenir à un cinéma très shakespearien dans l’âme, un cinéma en costumes de tradition, à la fois romanesque, classieux et délicat, alliant tenues, grâce et prestance. Tout cela, au service d’une histoire remontant le temps pour prendre la direction de la Cour de Louis XIV, racontant la création des fabuleux Jardins du Château de Versailles en 1682. Le sujet semble mince mais probablement que la petite histoire derrière la grande méritait d’être déterrée, sublimée et mise en lumière par un cinéaste (qui au passage s’offre le rôle du Roi) auquel on prête volontiers la même crédibilité qu’un Kenneth Branagh pour embrasser le genre. Sauf que, ô surprise, "Les Jardins du Roi" n’a strictement rien d’une "histoire vraie". Son personnage principal est une pure invention fictive à des fins mélodramatiques. Partant de ce point, c’est tout le projet qui va s’effondrer comme un château de sable auquel on aurait donné un coup discret dans ses bases fragiles. Alan Rickman n’avait strictement rien à raconter dans son scénario au-delà de la mise en scène de son cadre à la magnificence flamboyante. Sauf qu’un cadre resplendissant et sculpté avec talent mais sans toile dedans ne sert à rien en définitive. "Les Jardins du Roi" s’expose à la même problématique, celle d’être une œuvre minutieusement splendide voire fascinante en appelant à la beauté des grandes toiles historiques de maître, mais gentiment inutile, proche de l’expérience du rien. Un rien certes magnifique, mais un rien quand même. Et c’est là sans doute que toute l’entreprise d’Alan Rickman devient incompréhensible. Sachant que son personnage principal est une pure invention nécessaire à l’embrasement d’une fiction voulue romanesque, pourquoi ne pas être allé jusqu’au bout de la démarche en inventant également de quoi remplir un film aussi affamé qu’un bagnard échappé d’un goulag traversant un long désert ? Beau mais sans âme, propre mais sans passion, plaisant mais confondant de platitude, instructif mais dénué du moindre enjeu dramatique, mature et calme mais dégageant un subtil parfum de doux ennui, porté par une mise en scène au classicisme raffiné mais poussiéreux, interprété avec un professionnalisme sérieux mais zébré par les appels du cabotinage, "Les Jardins du Roi" est le film des sentiments antagonistes. Une œuvre figée, bercée par son équilibre trop tranquille et aussi plat que les vallons de Belgique, évoluant sans frémir du moindre clapotis de vague, comme une barque posée sur les flots d’un lac sans remous. On le comprend assez vite mais si "Les Jardins du Roi" laisse transparaître quelques éléments de fascination envers son académisme rappelant un ancien cinéma d’antan au plasticisme irréprochable, son tort principal qui le vide de sa substance comme une passoire percée est de souffrir d’une absence cruelle de matière, de n’avoir aucun récit fort pour nous accrocher à sa belle peinture techniquement admirable et sans vision défendable. Un documentaire de 45 minutes aurait sans doute été plus pertinent qu’un film de deux heures qui se traîne en redondances coupables et en emprunt de chemins de traverse pour masquer sa fuite en avant à la recherche d’idées narratives. Mais pour cela, encore eut-il fallu que l’entreprise repose sur une réelle volonté d’historicité. Et là encore, "Les Jardins du Roi" se perd dans ses intentions, ni reflet fidèle ni projet ludique. Quel était le but finalement d’un film qui s’autorise même d’abandonner le réalisme de sa reconstitution à des fins de modernisation pour épauler l’identification du public ? Comme par exemple laisser ses personnages arborer des vêtements croisant style d’époque et contemporanéité ? Avec cette fine histoire d’amour aérienne doublée d’un portrait de la Cour de Louis XIV et de la naissance des Jardins de Versailles, Alan Rickman souhaitait renouer avec un grand cinéma de tradition simple et romanesque, quelque part presque littéraire. Et si le résultat atteint certains de ses objectifs, essentiellement visuels, le vide d’un récit bien trop creux pour accrocher nous amène à traverser cette œuvre tellement immobile qu’elle en étouffe toute intensité ou aspérité fiévreuse. Au final "Les Jardins du Roi" se contemple sans déplaisir mais sans jamais enivrer ou soutirer la moindre émotion, la faute à son absence d’intrigue digne de ce nom. Cette romance dramatique demeure toutefois plaisante, grâce à la qualité de l’interprétation dominée par la sincérité de Kate Winslet, et appuyée par le jeu touchant de Matthias Schoenaerts, sublime et très attachant dans le rôle d'André Le Nôtre