Voilà un film où il est essentiel de tenir compte du contexte. Où il est périlleux de tout ramener à nos jours. Certes, c’est à la fois tentant et presque inévitable. L’abolition de l’esclavage, la fin de la ségrégation raciale aux U.S n’ont pas du tout gommé tout comportement raciste. Ce qui est malheureux et terrifiant, c’est de constater qu’il y a encore de par le monde des gens racistes. On croit, avec le temps, avec les nouvelles générations, que les comportements vont évoluer, qu’il n’y aura plus besoin d’admettre. Voilà le raisonnement légitime, que dis-je naturel, que l’on devrait tenir de nos jours ; mais surtout ne pas le plaquer dans un autre contexte, celui qui m’intéresse ici, à la toute fin du XIXème siècle, époque où Rafael Padilla appelé Kananga dans un cirque miteux, jouait un cannibale en compagnie d’un chimpanzé pour faire peur au public. Selon Roschdy Zem, réalisateur de « Chocolat ». Si on se contente de ne rien voir d’autre qu’un simple film, c’est un film plaisant, avec deux remarquables acteurs Omar Sy et James Thierrée. Ce dernier mériterait d’être plus présent sur les écrans des salles obscures. A cela s’ajoutent une brillante reconstitution de La Belle Epoque, une belle photo. Un film où il est naturel de s’indigner. Point. Ben non ! Je pousse le bouchon un peu plus loin. S’indigner de quoi ? Des gardiens de prison qui décapent le dos de Chocolat à grand coup de balai brosse pour effacer le noir de sa peau ? Bien sûr ! S’indigner de Félix Potin qui veut vendre son produit à l’effigie de Chocolat avec un visage de singe ? Bien sûr ! S’indigner que les spectateurs du théâtre Antoine sifflent injustement Chocolat dans le rôle d’Othello parce qu’il est noir et non pour son jeu ? Bien sûr ! S’indigner qu’il meure oublié et dans la misère lui qui a tant fait rire le public de France ? Bien sûr ! S’indigner que sa femme Marie, femme blanche, encaisse des remarques racistes parce qu’elle fréquente un noir. Bien sûr ! Ca c’est le point de vue de Roschdy Zem. Il est respectable et défendable et suis à l’aise dans sa façon de concevoir l’histoire de « Chocolat ». Comme je suis tout à fait à l’aise quand Foottit, clown blanc en tandem avec Chocolat, se garde bien de dévoiler le salaire que lui communique Oller (Olivier Gourmet toujours aussi impeccable) directeur du Nouveau Cirque à Paris. Ben oui ! Foottit en tandem avec un artiste blanc, inconnu, aurait réagi de même. Foottit en duo avec une femme aurait réagi de même. Foottit aurait gardé la plus grosse part. En ce temps là, (et ça continue) la femme gagnait moins qu’un homme et pis, c’était naturel ! Pour moi, Foottit a réagi normalement... pour l'époque ! Foottit a vu en Chocolat un homme. Comme je suis à l’aise que Chocolat soit le souffre-douleur de Foottit, sur scène bien entendu, pour amuser le public du Nouveau Cirque. Ben oui ! Le faible, celui qui reçoit injustement les coups, amuse. Il suscite même l’empathie. Chocolat n’aurait pas dû s’en formaliser. Grâce à Foottit, grâce à son talent, Chocolat était la coqueluche du public, il attirait la sympathie et de son public et de son directeur. Selon Roschdy Zem. Comme je suis à l’aise de penser que Chocolat vivait bien de son art ! Eh oui ! Même si sa part n’était pas équitablement donnée, il n’en reste pas moins qu’il avait assez d’argent pour le cramer aux jeux, pour glisser quelques femmes dans son lit et pour conduire une belle automobile. Combien de noirs à cette époque pouvaient jouir d’une telle notoriété et d’un tel luxe ? Oui, je suis à l’aise de penser que Chocolat a fait un mauvais choix dans la poursuite de sa carrière en abandonnant Foottit. Comme je suis à l’aise de comprendre les motivations légitimes de Chocolat de vouloir changer de registre. Mais si Chocolat n’avait pas fait un séjour en prison, si son voisin de prison ne lui avait pas fait remarquer qu’il cautionnait inconsciemment un comportement humiliant pour tous les hommes noirs en se faisant botter le derrière chaque soir au Cirque - toujours selon Roschdy Zem - Chocolat aurait-il abandonné Foottit ? Oui, Chocolat mettra fin à sa collaboration avec Foottit mais pas après un séjour en prison. Tout simplement, selon Noiriel, l’auteur de la véritable histoire de Chocolat, parce que Chocolat n’a pas fait de séjour en prison ! Donc, pas de balai-brosse frotté énergiquement sur son dos par les gardiens de prison ! Et puis, son tandem avec Foottit, c’est au Nouveau Cirque qu’il s’est constitué car Chocolat en était déjà pensionnaire. Selon Noiriel, Chocolat a bien joué dans une pièce de Shakespeare mais un petit rôle, celui d’un clown ! Roschdy Zem a dû se dire que l’histoire originale de Rafael Padilla manquait de relief ! Pourtant… Le premier artiste noir, le premier clown noir défiant toutes les convenances, c’était quelque chose pour l’époque ! Ben non, le réalisateur a opté pour une surenchère de mésaventures. Pour appuyer davantage sur l’indignation, pour amener le spectateur à avoir le fameux regard d’aujourd’hui. D’aucuns diront que Roschdy Zem manipule quelque peu les sentiments du public avec ces malheurs ajoutés. On peut s'en indigner ! Comme l’écrivait une journaliste : « Le film est un prisme déformant d'un mélodrame sordide et condamne le vrai Chocolat à disparaître pour laisser place dans les mémoires à la chute vertigineuse d'un pauvre nègre qui a voulu s'arracher à sa condition. » C’est ainsi que le définit Roschdy Zem. Non seulement, le public doit s’indigner, le plaindre mais aussi le pleurer pour tous ses malheurs. Toutefois, le film reste un hommage à Rafael Padilla, et c'est instructif. Mais fallait-il à ce point déformer le récit en l’écrasant de trop de poncifs racistes !?Rafael Padilla est avant tout un homme et l’ardent désir de passer à autre chose, de ne pas se satisfaire de ce que l’on a, de vouloir toujours plus n’a pas de couleur. C’est pourquoi, je m’indigne et je le pleure, mais ne le plains pas.