Roschdy Zem réalise avec « Chocolat » un film très soigné et très maîtrisé à tous les niveaux. On sent très vite que ce film, que cette histoire, lui tiennent à cœur et qu’il a ciselé son film avec précision. La reconstitution de Paris en 1900 est impressionnante de vérité : le Paris des beaux quartiers, le Paris des quartiers pauvres, le Paris des bidonvilles, c’est vraiment très réussi. C’est bête à dire mais ça m’impressionne toujours, ce genre de prouesse cinématographique, je trouve ça presque plus bluffant qu’une avalanche d’effets spéciaux dans un blockbuster. De jolis mouvements de caméra, des enchainements soignés, un montage qui n’abuse pas des effets du style flash-back, tout est bien tenu. On peut peut-être regretter quelques petits défauts : une musique qui appuie un peu trop les effets dramatiques par moment, quelques petites facilités de mise en scène vues et revues, mais c’est dérisoire. Il offre, en prime, lors de son générique de fin un vrai petit moment de grâce : un film très court, filmé par les frères Lumière, du vrai Footit et du vrai Chocolat lors d’un numéro. Comme on assiste au tournage de ce petit moment dans le film lui-même, c’est une manière élégante et émouvante de clore son propos. Coté casting, Roschdy Zem sort le gros calibre. En tête d’affiche, déjà, il offre à Omar Sy un deuxième rôle à César (qui sait… ?) et ce dernier incarne avec une vrai conviction cet homme si peu à l’aise dans son époque et dans le rôle dans lequel on le cantonne. Mine de rien, Omar Sy mène intelligemment sa petite barque depuis ses débuts avec Tolédano et Nakache, il fait de bons choix, il étoffe son jeu et son répertoire, c’est très prometteur. A ses côtés, James Thierrée est comme un poisson dans l’eau : c’est un homme de cirque, un acteur, un homme de la piste aux étoiles. Lui avoir confié le rôle de Footit est une idée brillante, le rôle lui sied comme un costume bien ajusté. Et pour le reste du casting, Zem à sorti son carnet d’adresse et il est impressionnant, même pour des rôles de moins d’une minute ! Fréderic Pierrot, Noémie Lovsky, Corrine Hesme, Olivier Rabourdin, Olivier Gourmet, les frères Podalydes, Xavier Beauvois, et j’en oublie surement… Tous les films français de 2016 ne pourront pas en dire autant point de vue qualité ! Le scénario de « Chocolat » est assez linéaire et, même sans connaitre d’avance le destin du clown Chocolat, on sait presque d’emblée comment toute cette aventure va (mal) finir. C’est que l’époque est terrible pour un noir, même un noir célèbre et admiré. Dans chaque scène ou presque, de manière claire ou de façon allusive, que cela soit dit ou sous-entendu ou même inconscient, tout est prétexte à une petite humiliation raciste. Lui-même a tellement intégré cela qu’il n’en prend conscience qu’en côtoyant en prison un haïtien militant de la cause « nègre », comme on dit à l’époque. Cette rencontre, décisive pour Chocolat, marquera le début de sa prise de conscience et aussi, malheureusement (et inévitablement, on est tenté de dire), de sa chute. L’évolution psychologique du personnage est clairement marquée par ce tournant. Après cette rencontre, tout ce qu’il acceptait avec le sourire et avec insouciance lui devient petit à petit insupportable. Autre scène clef, une des plus réussies et des plus dérangeantes, c’est celle de la visite de l’exposition coloniale où Chocolat, bien accompagné et bien habillé, découvre d’autres noirs exposés comme des animaux, l’affrontement psychologique entre lui et eux est court mais terrible. C’est une scène d’une force incroyable ! A ses côtés, évidemment, Footit n’évolue pas et ne comprends pas, il prend cela pour de l’arrogance et de la mégalomanie. Si Chocolat, qui aime les femmes, le jeu, l’alcool et le Laudanum est un Auguste sur la piste comme dans la vie, Footit est aussi un clown blanc sur la piste et dans la vie. Il ne sourit pas, il est très solitaire, obnubilé par son travail de clown. Son homosexualité supposée est suggérée à un moment, par une scène très courte dont on ne sait pas trop quoi penser, j’imagine que c’est volontaire. Ce duo improbable sur la piste est aussi un duo improbable dans la vie. Et pourtant « Chocolat » met en scène une amitié qui survivra au temps, entre un homme noir et un homme blanc, à une époque où c’est assez rare. Et ce qui est encore plus rare, c’est l’histoire d’amour entre Marie et Chocolat, une histoire magnifique de tendresse et de sacrifice. Si le scénario de « Chocolat » est sans surprise, il est malgré tout bien tenu, le film (qui tire un petit peu en longueur sur la fin) nous laisse une impression à la fois belle et douloureuse, à l’image du destin de cet homme injustement oublié. Roschdy Zem lui rend hommage aujourd’hui de la plus belle des façons, avec un beau film bien réussi.