Les biopics, notamment ceux concernant des personnalités encore présentes de manière vivace dans la mémoire collective, sont plus que jamais à la mode. Et à vrai dire indémodables. Quelle meilleure matière cinématographique que les parcours, forcément romanesques, de nos plus illustres contemporains ? Reste la question du traitement choisi : l’évocation en long et en large de la vie du sujet étudié (formule narrative qui ne compte plus beaucoup d’adeptes) ou la concentration sur une partie précise de son existence. Le film de Jalil Lespert (sa troisième réalisation après 24 mesures en 2006 et Des vents contraires en 2011) opte pour la seconde option. Et va même plus loin, en doublant le procédé par le centrage de l’histoire du point de vue de Pierre Bergé, compagnon de longue date d’Yves Saint Laurent. Ainsi, nous ne saurons rien de l’enfance du styliste, ni même des prémisses de sa vocation. Nous le retrouvons directement, ou presque, en charge de la maison Dior à la fin des années 1950. Mieux vaut dire d’emblée que ceux qui seraient rebutés par la haute couture n’ont pas de souci à se faire, le fil rouge est situé ailleurs. À savoir dans la relation tumultueuse du couple formé par les deux protagonistes principaux. Les ellipses sont nombreuses, les représentations artistiques triées sur le volet (en gros un défilé emblématique par décennie), seule la voix off de Pierre Bergé et quelques éléments historiques (mai 68 notamment) jouent le rôle de jonction entre les différentes scènes. Impossible d’ignorer la qualité esthétique de l’œuvre tant elle saute aux yeux (photographie superbe notamment), idem pour les premiers rôles, tous deux magistraux à leur façon, Pierre Niney dans un registre ombrageux et solaire, Guillaume Gallienne dans une incarnation sobre et nerveuse à la fois, saluons également les références qui ancrent le récit dans une époque insouciante. Et pourtant le processus ne nous convainc pas complètement. Ce qui paraissait un atout initial, ne pas s’adresser aux seuls initiés du domaine d’activité d’YSL, s’avère terriblement pesant sur la durée. Au fil des accrochages du couple Bergé/Saint Laurent, nous plongeons dans une certaine crispation, cédons sous le poids d’un schéma narratif se répétant inlassablement : l’un brûle la chandelle par les deux bouts, quand l’autre tempère ses ardeurs, toujours investi d’une même douleur dans le regard. Et la dimension artistique du créateur dans tout cela ? Quasiment absente. Tout juste suggère-t-on le stress imposé par le diktat des saisons, et apercevons au loin des croquis d’une de ses plus fameuses collections. Plus qu’un véritable ratage, puisque techniquement irréprochable, le film se perd dans son parti pris et finit par passer à côté de ce qui aurait pu (dû ?) être son sujet. Au final un travail appliqué qui manque d’un certain équilibre. Dans la même veine qui avait vu se monter deux projets simultanés sur Coco Chanel en 2008, un autre long-métrage sortira dans le courant de l’année au sujet du grand couturier. Il devrait se concentrer sur la même période de sa vie que celui-ci. Aura-t-il l’audace de laisser la sphère intime derrière l’expression artistique du personnage ?