La vie et la personnalité si atypique du créateur Yves Saint Laurent méritait sans doute un film. Il y en aura deux en 2014… et c’est la version de Jalil Lespert qui aura les honneurs de la première sortie (la version de Bonello ayant été repoussée au mois d’octobre). Et il faut bien admettre que, même lorsqu’on est (comme moi) assez réfractaire à l’univers de la mode et de la Haute Couture, on se surprend à être subjugué par ce personnage hors du commun dont on savait, au final, assez peu de choses. Son génie créatif dévorant, son caractère impossible, sa soif de débauche (voir ses nuits dans les backrooms ou sa toxicomanie), sa maladie... aucun "travers" ne parait avoir été éludé par Lespert qui n’épargne pas son personnage principal mais est parvenu à la transcender. Il peut compter, il est vrai, sur l’interprétation tout simplement époustouflante du jeune Pierre Niney qui campe un Saint Laurent hallucinant de crédibilité. Sa voix si particulière, ses manières, sa gestuelle, ses coups de colère, sa candeur… Niney est parvenu à saisir l’essence même du créateur au point d’hypnotiser le spectateur à chacune de ses apparitions. Et, une fois n’est pas coutume, cette interprétation magistrale (qui devrait lui valoir un César bien mérité) n’éclipse pas ses partenaires puisque, outre des seconds rôles intéressants (Charlotte Le Bon en muse des débuts, Marianne Basler en mère, Nikolai Kinski en Karl Lagerfeld, Laura Smet en Loulou de la Falaise, Xavier Laffitte en Jacques de Bascher…), on retrouve l’extraordinaire Guillaume Gallienne, inédit de virilité et de dureté (lui qui nous avait habitué à un personnage bien plus "maniéré), campe un Pierre Bergé d’une force redoutable face à Saint Laurent dont il est dépeint comme l’indispensable pilier. Le film repose d’ailleurs davantage sur la relation entre les deux hommes (leur rencontre, leur ascension avec Saint Laurent dans la lumière et Bergé dans l’ombre, leurs crises…) que sur la vie du créateur. Ce n’est pas par hasard que Lespert a fait le choix de faire l’impasse sur l’enfance de Saint Laurent (ce qu’on peut regretter) et a clôturé son film en 76, nous privant ainsi des 30 dernières années du maître. Paradoxalement, ce traitement égalitaire des deux personnages est peut-être la limite du film. En effet, difficile de sortir de la salle sans penser que Pierre Bergé est un saint homme ayant passé sa vie à protéger Saint Laurent, qui ne serait finalement pas grand-chose sans lui. Peut-être que ce portrait correspond à la réalité mais, outre son caractère un peu trop policé, c’est surtout le fait que ce "Yves Saint Laurent" soit la version "approuvée par Bergé" (contrairement à celle de Bonello) qui s’avère gênant. On se pose, dès lors, constamment la question de l’objectivité de ce qu’on voit à l’écran, ce qui gâche un peu le plaisir. Il ne s’agit pas du seul défaut du film. En effet, si on peut saluer le soin apporté par Lespert à la reconstitution des années 60 et 70 (les décors, les costumes, les couleurs…), on regrettera le manque d’audace d’une mise en scène très académique (ce qui est un comble pour un biopic sur Saint Laurent, qui n’a eu de cesse de briser les conventions). J’ai, également, été assez peu intéressé par les défilés de mode, qui étaient, certes, un passage obligé et qui bénéficient des créations originales de Saint Laurent… mais qui se perdent en longueurs et s’avèrent sans grand intérêt pour les réfractaires. "Yves Saint Laurent" est, par conséquent, un film intéressant qui permet de découvrir une partie de la vie d’un homme discret mais qui aurait dû se montrer moins timoré dans sa forme.