"Quai des Orfèvres" est un de ces rares films français de l'après-guerre relevant à la fois du divertissement (une intrigue policière solide, une ironie sombre mais plaisante, des dialogues efficaces, de grands acteurs) et de l'art (Clouzot fait du cinéma et se distingue totalement de la Qualité française), un peu à la manière d'un Hitchcock, réalisateur auquel Clouzot a souvent été comparé. Les deux réalisateurs partagent en effet des points communs, à commencer par un certain mépris envers les personnages. Dans "Quai des Orfèvres", tous les personnages sont abjects : le trio principal s'enlise dans le mensonge, l'un ayant souhaité commettre un meurtre, l'une pensant l'avoir commis et ne le vivant pas trop mal et la dernière ayant dissimulé les preuves. Un homme faible et colérique, une femme dévorée par l'ambition, l'autre par la jalousie, auxquels s'ajoutent le personnage de l'inspecteur Antoine (le grand Louis Jouvet), cassant et cynique à souhait. Le vrai meurtrier est à chercher ailleurs, ce qui révèle bien les ambitions de Clouzot : sous ses aspects, tout à fait respectés, de film policier, "Quai des orfèvres" dresse en réalité le portrait de la société de l'époque, traduisant parfaitement la misanthropie de son auteur. Excellent scénariste, Clouzot est également un grand metteur en scène : pensons notamment à ce formidable jeu de miroir (littéralement et métaphoriquement) à l'Eden ; ou à cette scène de suspense, pour le coup très hitchcockienne, où Clouzot nous montre un petit bout de papier depuis le point de vue du personnage de Bernard Blier ; ou encore à la scène tonitruante d'interrogatoire, puis de dispute, durant laquelle les musiciens de Jenny Lamour se déchaînent. Malgré une fin un peu trop heureuse détonant avec le cynisme du reste du film, "Quai des Orfèvres" est un des polars français les plus marquants et les plus influents... à côté d'autres films du même Clouzot ("Les Diaboliques").