Avec le même dispositif que La vie de plaisir d'Albert Valentin, tourné sous l'Occupation, La vie en rose, qui n'a rien à voir avec Édith Piaf, raconte doublement la même histoire selon des interlocuteurs différents. Le procédé fonctionne parfaitement et annonce, avec modestie, ce que Kurosawa, puis récemment kore-eda, en feront, avec bien plus de brio. Malgré tout, il est dommage que le film, à l'instar de son auteur, Jean Faurez, soit tombé totalement dans l'oubli, tellement il s'en exhale un charme désuet, qui en fait une des œuvres parmi les plus attachantes de l'après-guerre. Si François Périer, Simone Valère et la gracieuse Colette Richard font partie de la distribution, les deux vedettes en sont le remarquable Louis Salou, à la voix si reconnaissable, et Henri Jeanson, dont les dialogues, surtout dans la toute première partie, pétillent par leur humour et leur aisance pour faire ressortir l'élégance de la langue française, quand elle est châtiée, ce qui, convenons-en, n'est plus guère la coutume dans le cinéma hexagonal de ces dernières années. Et au final, à l'inverse du titre joyeux qu'il porte, La vie en rose s'impose surtout par sa mélancolie profonde et le peu de résistance des rêves face à l'impitoyable réalité.