Après un premier film, essai convaincant de romance sur fond de guerre ethnique en ex-Yougoslavie, Angelina Jolie, sous sa casquette récente de réalisatrice, nous revient avec un film typiquement hollywoodien, aseptisé et bâti sur une base sortie toute droite d’un baquet de formol. Ma réaction face à Invincible, Biopic au budget conséquent, est pour le moins contrastée. La cinéaste est allé chercher, pour l’occasion, une histoire comme les aiment tant le cinéma usuel américain, celles des héros, des patriotes et des survivants, celles de la foi en dieu et en l’homme. Voilà donc les périples filmiques de Louie Zamperini, jeune italo-américain, d’abord enfant terrible puis athlète olympique, puis finalement guerrier des airs, naufragé et prisonnier de guerre au Japon. L’homme étant décédé durant la phase de post-production du film en question, je ne saurais manquer de respect à ce gaillard parmi les plus solides d’entre nous. Ce même respect, justement, que porte Angelina Jolie à son héros du moment, ne rend pas vraiment service à son film, intensif moment de gloire à l’hollywoodienne. Explications.
Le personnage du film est un monstre de réussite, définition sur deux jambes du rêve américain, biberonné aux citations métaphoriques sur la réussite et le dépassement de soi. Ok, en deux coups de cuillère à pot, le voilà champion olympique de course à pied. Puis, l’histoire étant ce qu’elle est, le voici bombardier au-dessus du Pacifique, menant une guerre sans relâche aux japonais. Puis, son avion s’écrasant en mer, l’homme survit à 50 jours en mer puis à deux ans d’emprisonnement et de torture dans les camps de prisonnier régit par un sadique de premier choix. Il nous viendrait alors l’idée d’applaudir, de louer les mérites de cet homme inflexible, droit comme un i, imperturbable et survivant de l’impossible. Si le véritable Louie Zamperini fût sans doute un héros, son pendant cinématographique est un cousin germain de Superman. Soyons franc, Angelina Jolie n’y est pas allée de mains mortes avec la mise en valeur des vertus, des qualités et de la force physique et psychique de l’homme à qui elle rendait hommage. Dans le même registre, la réalisatrice s’est efforcée de diabolisé le tortionnaire japonais, le diable en personne à la tête d’une industrie de la souffrance.
La mauvaise langue que je suis surenchérit par ailleurs en affirmant sans remords que la réalisatrice manque des scènes primordiales de son film. Je pense ici à la bataille aérienne initiale, moment de total flottement irréaliste et jamais crédible. Pas forcément engageant en ouverture d’un film de deux bonnes heures et quinze minutes. Heureusement, la suite est meilleure, notamment les séquences dans les camps de prisonniers. Si nous mettons de côté notre raison, celle qui y voit un portrait de héros glorieux peu crédible, disons que le film rempli presque complètement son contrat. Oui, hormis cette scène de guerre, au début, complètement dénuée d’intérêt, la cinéaste, sachant sans doute s’entourer de talents dans tous les domaines, livre un film qui n’a pas à rougir, techniquement parlant, face à la concurrence. Ses images sont belles, ses séquences dures sont réussies, sa bande-son est impeccable et finalement, ses décors sont magnifiques. Angelina Jolie, à défaut de livrer un film sérieux, nous livre du grand spectacle, avec quelques CGI plutôt gênants mais sans importance majeure.
La réalisatrice peut également se féliciter d’avoir choisi pour incarner son héros le comédien, étoile montante britannique, Jake O’Connell. S’étant distingué dans des projets plus terre-à-terre, mais meilleurs, c’est selon, l’acteur signe là son premier gros contrat hollywoodien, et malgré la surenchère, parvient à tirer son épingle du jeu. De cette jeune génération d’acteurs sur laquelle a flashé miss Jolie, ce dernier est sans conteste le meilleur. Du bon, du moins bon et du mauvais, aussi, font d’Invincible un film tout public particulièrement difficile à détester, mais aussi difficile à apprécier. Bref, c’est un peu le symptôme d’un cinéma qui n’ose jamais la controverse, qui n’ose pas égratigner les sensibilités, préférant miser sur ce qui fait trembler les cœurs, même faussement. En somme du cinéma popcorn destiné à la consommation de masse. Ce n’est pas foncièrement un reproche, mais l’on oserait espérer que le bel élan humaniste de la réalisatrice puisse la mener vers quelque chose de plus solide. 09/20