Le fait divers avait défrayé la chronique à l’automne 2007 : une association humanitaire française avait tenté de faire sortir du Tchad 103 enfants présentés comme orphelins du Darfour.
Joachim Lafosse, un réalisateur belge dont le précédent film « A perdre la raison », lui aussi inspiré d’une histoire vraie, m’avait bouleversé, a très fidèlement adapté cette histoire. Seule distance prise avec la réalité : ses principaux protagonistes ont été rebaptisés et les lieux de l’action ne sont pas nommés – précaution bien dérisoire qui ne tiendrait pas longtemps devant un tribunal.
La grande réussite de son film est de décrire la lente perversion des meilleures intentions.
Car, les intentions du charismatique directeur de l’Arche de Noé, impeccablement interprété par Vincent Lindon, sont pures : sauver des orphelins de l’enfer du Darfour. Forts de l’expérience qu’il a acquise après le tsunami en Asie du sud-est, il convainc plusieurs dizaines de familles du Sud-Ouest de la France de se porter volontaires à les accueillir.
Les choses se compliquent quand les orphelins attendus ne répondent pas à l’appel. Les humanitaires espéraient sauver le monde ; mais le monde n’a pas besoin d’être sauvé. Ayant reçu de l’argent pour fournir des orphelins, les chefs de villages fournissent aux humanitaires ce qu’ils ont sous la main : des enfants dont les parents acceptent de se séparer, soit qu’ils aient reçu de l’argent pour ce faire, soit qu’ils espèrent ainsi leur assurer une vie meilleure. C’est ainsi que, coincés entre les familles adoptantes qui les attendent en France, des chefs de village qui ne leur amènent pas les orphelins escomptés et des autorités tchadiennes auxquelles elle ne parvient pas longtemps à cacher ses plans d’exfiltration, l’équipe de l’Arche de Noé s’est retrouvé dans un dilemme sans issue.
Cette lente perversion est remarquablement incarnée par un personnage secondaire : celui de la journaliste interprétée par Valérie Donzelli. Son rôle était de filmer la mission pour offrir aux familles adoptantes un témoignage. Elle se positionne au départ en dehors du groupe – dont elle filme, sans mot dire, les premiers déchirements. Mais peu à peu, attendrie par la détresse des enfants recueillis, elle prend fait et cause pour la mission, au point de perdre sa lucidité.
L’autre réussite des « Chevaliers blancs » est de filmer l’humanitaire. Il est surprenant que ce monde, hautement dramaturgique, ait aussi peu inspiré le cinéma. On voit parfois quelques silhouettes, en arrière plan d’un film catastrophe. Un drame humanitaire est parfois filmé à travers leurs yeux. Mais, aucun film n’a à ma connaissance, filmé l’humanitaire en train de se faire – alors que les romans et les essais sur ce thème font légion (tels que « Asmara » de Jean-christophe Rufin ou « Frontières de Sylvie Brunel). Or, l’action humanitaire renferme de riches ressorts dramatiques. Ce que Joachim Lafosse réussit très bien à filmer ne va pas de soi : c’est, quand l’équipe privée d’accès au terrain ne parvient pas à accueillir d’enfants, le temps mort de l’attente, du désoeuvrement, de l’oisiveté où la frontière entre le travail et les vacances se perd.