Le titre, Les Chevaliers blancs, est un trompe-l’œil qu’entretient de prime abord une tendance à l’héroïsation de ces Français aux motivations opaques ; la musique idéalise leurs déplacements en avion, qu’un montage coupe brutalement, plusieurs fois. Joachim Lafosse laisse entendre des dissonances : les dialogues s’avèrent peu audibles, les échanges houleux sans que les raisons véritables ne soient explicitées. On ne connaît pas vraiment le sens des actions réalisées, ni même le cadre géographique choisi – l’Afrique, oui, mais où précisément ? On comprend petit à petit que ces chevaliers n’ont rien de blancs, sinon en raison de leur couleur de peau, et que la confusion narrative et spatiale traduit la confusion de ces acteurs hors-la-loi qui crient, par causes interposées, leur égarement moral et idéologique : soucieux d’honorer une transaction humanitaire qui doit octroyer des orphelins à des parents sans enfants, ils en viennent à des pratiques de kidnappeurs, de receleurs qu’ils condamnent pourtant en principe, puisqu’ils sont là pour aider.
Le film interroge ces notions, faussement évidentes, de justice, de bien et de mal, d’engagement pour autrui, d’altruisme en somme ; car même l’orphelin apparaît comme un concept étranger, sans cesse invalidé par des faits qui témoignent d’une autre valeur portée à l’enfant. Les membres de l’ONG ont des pratiques similaires à l’eugénisme : nous les voyons sélectionner les garçons et les filles en fonction de leur dentition, de leur âge, de leur taille ; ces derniers sont pesés, étudiés, interrogés ; on va jusqu’à questionner leur entourage, le chef du village, les femmes alentour. Les conditions d’accueil des orphelins, radicales compte tenu du mensonge qui couve, donne lieu à des séquences difficiles durant lesquelles des mères cèdent leurs droits sur un enfant qu’elles acceptent de ne jamais revoir, ou implorent qu’on le leur enlève.
La mise en scène semble captée sur le vif, proche d’un style documentaire explicité par le personnage de la journaliste qui suit l’équipe humanitaire une caméra à la main ; et les quelques scènes à la stylisation plus travaillée sont données en leurres, reflets de ce qu’aurait pu être le film s’il avait été réalisé par des Américains – cf. séquence de dialogue de sourds avec un soldat de l’oncle Sam. Les Chevaliers blancs s’oppose donc à The Last Face, mélodrame épouvantable sur fond de guerre africaine que réalise, la même année, Sean Penn. Une œuvre brillante par les questions qu’elle soulève et par l’intelligence qu’elle manifeste à ne jamais y répondre – mais peut-on seulement y répondre ? – portée par des comédiens investis.