L'affiche du nouveau film de Hong Sang-Soo induit en erreur : Hae-Won, son héroïne, n'est pas une collégienne insouciante qu'un pervert suit dans un bois. Par contre, elle annonce la couleur, celle d'un générique d'ouverture à la fois simple et remarquable, à l'instar de l'œuvre qu'il introduit : un bleu surprenant, éblouissant, qui se révèle détonant et sur fond duquel s'inscrit en blanc 제인버킨 ; un bleu qui plonge radicalement dans l'univers honguien, au cœur d'une Corée qui ne lassera jamais et dont il contraste avec le ciel souvent gris.
Hea-Won, étudiante en cinéma et future comédienne, rêve en numérique. Elle rêve qu'elle croise le chemin de Jane Birkin (제인버킨), qui lui trouve une certaine ressemblance avec sa fille. Elle rêve qu'elle renoue avec sa mère, cette étrangère, le temps d'un après-midi sans rancœur ni véritable espoir. Elle rêve qu'elle boit pour se consoler de son départ, parce que le soju est un bien meilleur amant que son professeur ; qu'elle boit avec ses amis, qui profitent de sa brève absence pour la taxer de riche, de métisse et de garce. Elle rêve qu'à deux reprises, elle rompt avec ce lâche et pleurnichard ; qu'entre-temps, un autre professeur, qui vit aux États-Unis et connaît Martin Scorsese, lui propose de l'épouser. Elle rêve qu'elle boit avec un vieillard pour se consoler, cette fois, de la rupture d'une relation sercrète qu'elle a entièrement dévoilée. Elle rêve puis se réveille, seule à la table d'une bibliothèque universitaire.
Ou peut-être qu'Hae-Won, loin des préoccupations de Miss Corée, évolue dans une dimension qui hésite entre le rêve et la réalité, absorbée par sa solitude comme par un trou noir. D'ailleurs, la progression de son histoire décrit un cercle : elle emprunte les mêmes chemins sinueux d'un quartier de Séoul et du fort de Namhan, y joue les variantes d'une même scène. Mais Hong Sang-Soo radote avec économie et précision : la répétition, clé du film, s'observe au travers de plans rares et francs, superbes drapeaux donnant à voir le vent. En outre, si de cette répétition se dégage une forme de théâtralité, elle est largement compensée par le naturel bluffant de l'image, du son dramaesque et du jeu des acteurs.
Hae-Won et les hommes a tout d'un air de Beethoven (1) détourné par la qualité pitoyable de l'enregistrement : il mêle violente mélancolie et drôlerie asiatique, préparée à base d'inconvenance et de high kicks -métaphoriques ou non. "Comment va votre dépression ?"
(1) En l'espèce, il s'agit du deuxième mouvement de la Septième Symphonie.