En 1978, Joe Dante se voit confier la réalisation de son premier film en solitaire : "Piranhas". Dans l'idée que s'en fait le producteur Roger Corman, "Piranhas" doit être une sorte de pastiche du film "Les Dents de la Mer" sorti trois ans plutôt, mais avec un budget bien moins conséquent. En effet, là où "Les Dents de la Mer" avait un capital de 8 millions de dollars, "Piranhas" lui n'aura que 600 mille dollars à son actif. Malgré cette différence notable et le côté série B plus prononcé que chez son illustre source d'inspiration, le film de Dante n'a pas à rouge du manque de moyens. Il s'en tire même à bon compte et se révèle être une bonne surprise.
L'histoire est plutôt basique : des Piranhas génétiquement modifiés par l'armée américaine sont accidentellement relâchés dans une rivière fréquentée par de nombreux baigneurs. Manque de bol, ces poissons mutants sont à présent capable de vivre en eau douce et ils ont une dalle d'enfer ... Plus gros manque de bol encore, une colonie d'enfants et un parc d'attractions nautiques se trouvent en aval de la rivière. S'en suivra alors une course contre-la-montre (et contre la mort) pour Maggie et Paul, nos deux malheureux responsables afin de prévenir les badauds et ainsi éviter un carnage ...
Difficile de faire plus simple. D'autant que raconté ainsi, le côté série B et nanar se fait vraiment ressentir. Néanmoins, le film de Dante parvient assez habilement à jongler entre le côté horrifique/sérieux et le côté parodique/fun des évènements ce qui rend le film plus authentique. Tout du long, "Piranhas" maintient cet équilibre fragile sans à aucun instant basculer totalement d'un côté où de l'autre. C'est à mon sens ce qui fait la réussite de ce film et qui l'en éloigne du bon gros nanar qui caractérise très souvent les films mettant en scène des animaux tueurs où l'histoire sombre toujours dans la connerie la plus pure.
Ce qui rend le film plaisant à suivre, c'est la tension qui s'installe au rythme de la progression des carnivores. Plus ils descendent la rivière, plus la menace grandit et l'horreur croit. La course contre-la-montre est de plus en plus pressante pour nos deux héros à mesure qu'ils découvrent les ravages faits par ces petits monstres
Dans le même temps, à mesure de cette progression il y a un côté fun, un peu parodique et débile lié à la maladresse/la bêtise des personnages qui se manifeste occasionnellement ce qui d'une certaine façon permet au spectateur de "décompresser" et de se souvenir que le film n'est pas à prendre totalement au sérieux. Je pense par exemple au passage dans la cellule de la prison où Maggie parvient à berner le policier crédule avec une histoire de fuite d'eau pour l'attirer à l'intérieur, l'assommer sans qu'il ne voit rien venir et s'évader ensuite. Ou encore la scène du ski nautique qui se terminera dans une explosion incroyable entre deux bateaux ridiculement petits ...
Les scènes d'attaques plutôt nombreuses sont à la fois horribles et drôles. Plus horribles que drôles évidemment, car voir une nuée de petites dents s'attaquer à l'homme , des marres de sang et entendre des hurlements apeurés n'a rien d'amusant, mais la façon dont c'est amené (quand les piranhas approchent on entend un bruitage amplifié, rappelant des dents qui claquent et des nageoires qui frétillent), les réactions qui suivent les morsures sont parfois drôles. Manque de moyens oblige, le même plan des piranhas sera utilisé à plusieurs reprises lors des attaques, et ils sont à chaque fois filmés de façon furtive, rapide et dans des nappes sanguines de façon à ce que l'on ne se rende pas compte qu'il s'agisse de marionnettes en caoutchouc. C'est d'ailleurs là justement où Dante s'en tire bien puisque malgré le manque de moyens, les scènes ont l'air crédible et réaliste y compris les attaques de grandes envergures où la confusion et le chaos se font bien ressentir.
Pour un premier film en tout cas, on sent déjà l'inventivité et le talent de Joe Dante dans sa façon de raconter ses histoires. Ici en tout cas, "Piranhas" s'avère être un bon compromis entre film d'horreur et film parodique (sans qu'il en soit totalement un pour autant). C'est un bon pastiche des "Dents de la Mer" qu'il imite plutôt (l'attaque finale entre autre) bien sans jamais plagier et à qui il rend un bel hommage (notamment avec la scène d'ouverture où l’héroïne joue à "Jaws" sur une borne d'arcade, clin d'oeil évident à Spielberg et son film). C'est par ailleurs grâce à ce film qu'il obtiendra quelques années plus tard la réalisation de "Gremlins" des mains de Spielberg lui-même, c'est dire si "Piranhas" s'éloigne définitivement des séries B de seconde zone et autres nanars plagiaires produits à tour de bras, après tout recevoir un tel cadeau de la part d'un des maitres du cinéma n'est pas donné à tout le monde. Quoi qu'il en soit, ce premier film ouvrira la carrière d'un réalisateur (injustement oublié de nos jours) au talent et à l'imagination véritable.