Sorti trois ans après Jaws premier du nom, véritable révolution puisqu’il sera le point de départ et la référence de tout un sous-genre du cinéma mettant en scène la lutte entre hommes et animaux prédateurs marins – en l’occurrence les requins –, Piranha n’a de cesse de taquiner cet aîné auquel il rend un vibrant hommage non pas servile, sujétion qui cantonnerait Joe Dante à suivre la recette à succès établie par Steven Spielberg, au contraire volontiers parodique dans sa forme et son ton, en lui apportant une déclinaison tout à la fois efficace et burlesque. La très grande force du cinéma de Joe Dante est d’aborder des sujets sérieux et graves – pensons à la menace nucléaire de Matinee – non pas avec un second degré constant, marque de fabrique des daubes contemporaines, mais avec un esprit critique savoureux qui est capable, telle l’ironie, de faire cohabiter un premier niveau de lecture fort sérieux et un second, plus souterrain, qui porte un regard parodique sur le film en train de se faire. Aussi cet aspect double du long métrage lui confère-t-il une densité remarquable, le spectateur habitué aux intrigues du genre se délectant du fourmillement de références qui jamais n’interfèrent avec le récit. Dit autrement, il est invité par le long métrage à jouer avec lui dans la mesure où le long métrage tend à se jouer de lui. Et ce que l’on remarque d’entrée de jeu, c’est l’importance accordée aux couleurs qui évoquent l’univers de la bande dessinée, auquel le cinéaste rend hommage puisqu’il égrène du début à la fin bon nombre de références, des cartoons au comic book lu par la jeune fille en colonie de vacances : le choix des costumes privilégie les couleurs vives, du jaune poussin d’une équipe de vacanciers au bleu de l’autre ; le foulard rose de Gardner, la chemise bordeaux à carreaux du protagoniste principal, le rouge tomate du sang qui tache le bleu azur de l’eau, à l’instar du titre en début et fin de film. Joe Dante compose ses scènes comme autant de planches de bande dessinée, geste artistique qui se double d’un goût pour la parodie : le requin de Jaws nous accueille sous la forme d’un jeu d’arcade, Moby Dick est lu au bord de l’eau, la pleine lune encadre la baignade interdite des deux nageurs, les actrices n’arrêtent pas de faire tomber le haut pour un oui pour un non. Nul hasard, par conséquent, si les jugements défavorables formulés sur le parc nautique insistent sur le recyclage opéré par Gardner, ce dernier reconnaissant explicitement avoir compilé là des attractions récupérées un peu partout ; Dante fait la même chose, il recycle du vieux pour le changer en neuf et proposer une attraction-somme capable de résumer et d’anticiper l’univers Jaws décliné sur trois films – nous retrouvons le baigneur tiré au fond de l’eau et les plans sous l’eau en caméra subjective issus de Jaws, l’enfant seul sur son embarcation qu’il faut secourir (Jaws 2) et le parc nautique qui tourne au cauchemar, anticipation de ce que sera ou aurait pu être Jaws 3. De même, l’attachement aux créatures étranges, dont une animée en stop motion dans le laboratoire, convoque tout un pan du cinéma B d’épouvante à la Roger Corman, par ailleurs producteur exécutif du film, ou à la Charles Band. Voilà donc une œuvre d’une richesse folle, divertissement de grande qualité qui parvient à mêler l’efficacité de séquences d’action réussies, que porte une partition musicale anxiogène signée Pino Donaggio, à la légèreté de tons et la multiplication de clins d’œil pour spectateur aguerri, de la jeep décollant de terre au poisson à la poêle en passant, bien évidemment, par ce piranha croqueur de nez.