Il aura fallu quatre années d'attente pour que l'on retrouve un film d'Alejandro González Iñárritu sur les écrans. Cinquième long-métrage du réalisateur, Birdman prend la relève du très acclamé Biutiful, qui a permis à Javier Bardem de recevoir le prix d’interprétation masculine à Cannes en 2010. Entre temps, le cinéaste a produit un film argentin intitulé Ultimo Elvis.
La pièce de théâtre qui annonce le come-back de Riggan Thomson (Michael Keaton) est inspirée d'une nouvelle de Raymond Carver intitulée "What We Talk About When We Talk About Love" ("Parlez-moi d'amour", dans sa version française). Parue en 1981, elle raconte l’histoire de Mel McGinnis, cardiologue quadragénaire et ses amours. On y retrouve également la quête incessante d'amour et de reconnaissance qui caractérise le personnage de Micheal Keaton dans Birdman.
Ce n'est pas sans raisons que le réalisateur a porté son choix vers Michael Keaton pour endosser le rôle principal. En effet, le parcours de Riggan Thomson est similaire à celui de Keaton, qui a connu la gloire fin des années 1980 début des années 1990 en incarnant le super-héros Batman dans les films de Burton, avant de se faire rare sur les écrans. Conscient de ces affinités, Alejandro González Iñárritu a fait appel au comédien pour le rôle.
En 2014, Michael Keaton était à l'affiche de plusieurs films dans les salles américaines, et pas des moindres. Comme pour remédier à son absence des écrans, l'ex-batman n'a pris part qu'à des grosses productions hollywoodiennes. La même année, on a donc pu l'apercevoir dans Robocop et Need for Speed.
Le scénario de Birdman est co-signé Nicolás Giacobone. Ce dernier est également à l'origine du script de Biutiful, précédent film d'Iñárritu. Il s'agit là de leur deuxième collaboration. Le réalisateur retrouve également Naomi Watts, qui jouait le rôle de Cristina Peck dans 21 Grammes.
Alejandro Iñárritu voulait avec le film Birdman traiter de la question du succès et de son éphémérité : "J’avais envie d’explorer la question de l’ego et l’idée que le succès – qu’il s’agisse d’une réussite financière ou de célébrité – est toujours une illusion", ajoute-t-il. Le cinéaste explique également avoir voulu appuyer le côté profondément humain de Riggan, son personnage principal, en le rendant "imparfait, pétris de doutes et de contradictions."
La dimension surréaliste est omniprésente tout au long du métrage. En effet, l’égo de Riggan est si torturé qu’il a parfois bien du mal à distinguer rêve et réalité. De plus, l’ombre de Birdman, son alter-ego super-héroïque, rôde d’une manière on ne peut plus menaçante. Le cinéaste Alejandro Iñárritu précise : "Birdman est le surmoi de Riggan, et de son point de vue, Riggan fait une énorme erreur en montant cette pièce qui est clairement indigne d’eux. Du point de vue de Riggan en revanche, c’est Birdman qui a perdu la tête. Mais bien sûr, en définitive, ils sont tous les deux à côté de la plaque."
Film atypique et inclassable, la mise en projet de Birdman représentait un véritable défi pour le réalisateur mexicain Alejandro Iñárritu : "(…) pour ce film, j’étais complètement terrorisé ! Il m’a poussé à m’aventurer en territoire inconnu, ce qui est loin d’être confortable". Néanmoins, il s’est conforté dans l’idée que la mise en danger d’un cinéaste est nécessaire à son épanouissement : "J’ai toujours pensé qu’après avoir atteint 40 ans, un projet qui ne vous effraie pas ne vaut pas la peine qu’on l’entreprenne", indique-t-il.
Bien que Birdman s’intéresse aux tribulations d’un comédien accroché à sa gloire passée, Alejandro Iñárritu voulait donner à son film une dimension universelle. En effet, la quête d’admiration est un sentiment qui nous est commun à tous. Selon le cinéaste, ce sentiment a d’ailleurs été exacerbé par l’avènement des réseaux sociaux et leur l’immédiateté : "L’immédiateté des réseaux sociaux peut facilement fausser la réalité perçue par un être humain, en particulier Riggan, qui doit se soumettre à l’image que les gens ont de lui", ajoute-t-il.
Michael Keaton déclare à propos de son personnage que ce qui le caractérise le mieux sont ses contradictions : "Il a l’impression d’être le roi du monde l’espace d’un instant, et quelques secondes plus tard d’être au fond du trou." Un comportement volatile qui a intrigué le comédien : "Je n’avais encore jamais incarné un personnage de cinéma ou de théâtre qui passe par autant d’extrêmes en si peu de temps, mais c’est précisément ce qui m’a plu chez lui."
Assez complexe dans son fond, Birdman l’est tout autant dans sa forme. Naomi Watts déclare d’ailleurs : "Birdman est le film le plus complexe que j’aie jamais tourné en raison de sa forme visuelle atypique. Il a été construit pour donner l’impression d’être un seul et même long plan". Ce genre de processus exige le meilleur des acteurs puisqu’il est difficile de faire des prises supplémentaires. Néanmoins, l’actrice indique que l’équipe technique se devait également de donner son maximum pour mener à bien le projet : "Nous étions tous sur la brèche, que ce soit le département accessoires, les cascadeurs ou les cadreurs. C’est une sorte de course de relais dans laquelle chacun a un rôle précis à jouer et ne veut pas laisser tomber les autres. C’est un véritable travail d’équipe."
Habitué au monde du théâtre puisqu’il s’est illustré dans de nombreuses pièces, le comédien Edward Norton fut impressionné par l’exactitude de la retranscription de ce monde si particulier : "Lorsque j’ai lu le scénario, je me suis demandé comment Alejandro et ses partenaires d’écriture avaient réussi à intégrer l’aspect humoristique et poignant de la vie des acteurs en général, mais en particulier les vicissitudes de celle des acteurs de théâtre new-yorkais", déclare-t-il.
Proche du théâtre, la mise en scène d’Alejandro Iñárritu propose des longs mouvements de caméra parfaitement synchronisés avec les déplacements et les dialogues. En outre, il n’y a ici pas de multiplication de points de vue et d’angles, renforçant ainsi la dimension théâtrale du projet.
Au-delà du thème universel de la recherche de l’admiration d’autrui, Birdman met en scène un personnage qui veut absolument accomplir quelque chose d’important avant que la mort ne l’emporte. C’est en tout cas l’analyse d’Edward Norton qui insiste sur le caractère anecdotique du fait que le personnage de Riggan soit un acteur, puisque l’envie de laisser une trace après sa mort est un sentiment profondément humain.
Un travail immense a été effectué en amont par le réalisateur et les acteurs pour étudier leurs personnages et leurs actions : "Nous avons pris le temps d’étudier minutieusement le sens et le but de chaque scène, ainsi que chaque personnage dans les moindres détails, afin de déterminer leurs motivations et les conséquences de leurs actions et de leurs émotions", déclare le cinéaste Alejandro Iñárritu.
Selon Edward Norton, l’utilisation de plans-séquences s’inscrit comme une évidence dans l’œuvre d’Iñárritu : "Le fait de tourner en plans-séquences est une variation sur un thème récurrent dans son œuvre, qui vise à créer un film fait de moments interconnectés les uns aux autres", déclare l’acteur. Un processus extrêmement stimulant pour les comédiens qui les pousse à sortir de leur zone de confort : "Cela permet aux acteurs de s’exprimer comme seul le théâtre le permet, et c’est quelque chose de très fort. Je trouve également que cela confère inconsciemment une certaine énergie au jeu des acteurs", ajoute-t-il.
Birdman a été tourné à New York en l’espace de 30 jours. Le producteur du film John Lesher justifie le choix de la ville car "La ville et Broadway sont des personnages à part entière dans le film". De plus, Alejandro Iñárritu voulait collaborer avec des acteurs et des techniciens issus du monde du théâtre et la ville de New York reste l’épicentre de la production théâtrale américaine. La production a d’ailleurs tourné la majeure partie du film à Broadway, au St. James Theatre, situé sur la 44e rue, en plein cœur de Times Square.
Birdman a été tourné chronologiquement, ce qui est plutôt inhabituel pour un film en plans-séquences. Le producteur James Skotchdopole explique ce choix : "Il était essentiel pour Alejandro de travailler dans la continuité et d’explorer la psychologie de Riggan car c’est sur cela que repose tout le film. Michael faisait tous les jours un travail extraordinaire pour trouver le ton juste et le rythme dans l’évolution de son personnage."
En ce qui concerne les décors, le chef décorateur Kevin Thompson explique qu’ils ont dû s’adapter aux répétitions et aux mouvements des caméras : "La taille et la forme des décors ont été dictées par les répétitions. Ils devaient s’adapter aux déplacements des acteurs (…) Les répétitions ont notamment permis de déterminer la longueur des couloirs entre les loges, et la distance entre la loge de Riggan et la scène."
Le design du costume de Birdman a été imaginé par Mike Elizalde, un responsable d’effets spéciaux et de maquillages mexicain qui a travaillé sur de nombreux films fantastiques tels que Blade 2, Hellboy II Les légions d’or maudites ou encore X-Men : Le Commencement. Il a d’ailleurs été recommandé à Iñárritu par son compatriote Guillermo Del Toro.
Au niveau du montage, le travail a été préparé dès les répétitions : "Avant même que le tournage ne débute, nous avions prémonté les images des répétitions et des lectures du scénario afin qu’avec Alejandro, nous puissions nous faire une idée de ce que donnerait le film sur le plan visuel et sonore", explique le monteur Stephen Mirrione.
L’un des meilleurs batteurs du monde, le Mexicain Antonio Sanchez signe la bande-son de Birdman. Alejandro Iñárritu indique que Sanchez a enregistré et improvisé plus de 60 morceaux pour le film. La musique a d’ailleurs parfois servi au cinéaste pour mieux rythmer son film et donner le ton à ses acteurs. Le rythme est intimement lié aux mouvements de caméras qui eux sont liés au cheminement intérieur de Riggan, liant ainsi le tout en un ensemble harmonieux.
Birdman est le grand vainqueur des 87e Oscars en remportant les statuettes du Meilleur film, du Meilleur réalisateur, du Meilleur scénario et de la Meilleure photographie.