La première chose à dire sur « Birdman », et c’est ce qui saute aux yeux dés les premières minutes du film, c’est que ce film est réalisé par un surdoué ! Alejandro Gonzales Inarritu n’a pas volé son Oscar de meilleur réalisateur car c’est sacrément bien maîtrisé ! Une direction d’acteur au millimètre, une utilisation de la musique (a quelques exceptions près, uniquement jouée à la batterie) super intelligente et surtout des plans séquences interminables, superbement filmés, parfaitement enchaînés par des petits timelaps : du travail d’orfèvre, l’œuvre d’un réalisateur sacrément doué et sacrément audacieux. On pourrait presque croire à un immense plan séquence de 1h58 tellement les coupures sont discrètes, masquées, arrangées. Franchement, je n’avais pas vu une telle maîtrise de la caméra depuis très longtemps, depuis Tarantino même si c’est un autre genre ! Non, là-dessus difficile de ne pas être bluffée, même quand on n’est pas un super spécialiste du cinéma. Le casting aussi est parfait : Edward Norton, attendrissante tête à claque, symbolise à lui tout seul tous les côtés attachants et tous les côtés exaspérant des acteurs américains à la mode. Zack Kalifianakis est drôle et très juste en avocat-producteur, la plupart des scènes d’humour arrivent par lui. Naomie Watts, Amy Ryan et Emma Stone sont également très biens mais alors, que dire de Michael Keaton ? C’est une mise en abîme pour lui, ce film, parce que c’est l’histoire de sa carrière à lui. Lui qui fut le premier Batman en 1992 et qui fut écrasé par ce rôle au point de ne plus rien faire de vraiment intéressant après (citez-moi un grand rôle de Keaton depuis Batman ? Ben non, moi non plus…), il joue son va-tout dans « Birdman » comme son personnage joue son va-tout à l’écran, c’est un pari assez fou quand on y pense. Et c’est un pari gagné car il est juste génial et dans deux-trois scènes d’anthologie, il montre combien son talent a été bridé pendant 20 ans mais qu’il demeure intact. Dommage de ne pas lui avoir donné l’Oscar, çà aurait eu une sacré gueule de le lui donner pour ce rôle si personnel, je trouve… Reste que le scénario de « Birdman » va peut-être laisser pas mal de monde sur le bord de la route, parce qu’il n’est pas forcément très facile à lire. Ce n’est pas un film linéaire avec un propos clair, un message intelligible, c’est plus une sorte de fable tragico-comique sur les affres de la célébrité. Le personnage de Riggan est double, d’un côté il est un acteur qui, en montant ce projet théâtral, veut retourner aux sources d’un métier qui lui a beaucoup donné et beaucoup repris. Mais d’un autre coté, il est « hanté » par « Birdman » qui lui intime, de sa voix caverneuse, de revenir aux blockbusters, de céder aux sirènes de la TV-réalité, de choisir le voie la plus courte, la plus facile, vers la célébrité. A la limite de la schizophrénie entre l’acteur et la vedette, Riggan Thomson confond l’amour et le succès. Ce n’est pas un hasard si la pièce qu’il produit parle d’un homme qui ne supporte plus de ne plus être aimé, c’est pour lui une sorte de mis en abîme (encore une… Ce film à un petit côté poupées russes !) qui le conduit à l’autodestruction. Les scènes où « Birdman » prends le dessus sont oniriques, elles doivent être interprétées comme des métaphores et on doit accepter, même si ce n’est pas évident, de ne pas les comprendre toutes. Du coup, çà donne au final un scénario un peu étrange, déconcertant, original qui n’est pas facile à décoder. Et ce n’est pas la toute fin du film qui va donner une quelconque clé, au contraire ! Mais si accepte ce postulat, si on accepte de ne se laisser porter par l’ « homme-oiseau », alors on prend du plaisir devant un film sans temps mort, très bien réalisé, très bien joué, souvent drôle, parfois angoissant, parfois un peu triste.