Imparfait, sans doute trop court, inabouti, le Western des frères Miller, crédité au nom de Logan, fait toutefois figure de divertissement bienvenu en cette creuse période créative. Sans doute influencés par Quentin Tarantino dans sa phase Django, par l’univers très particulier du Western Spaghetti, les frères Miller livre un film anachronique qui voit le mal s’insinuer partout, dans la foi, l’amour et la justice. Bâti autour d’un totem à l’honneur de l’humour noir, Shérif Jackson ou Sweetwater pour les autres, est de ces films qui réjouissent mais qui ne parviennent finalement pas à transcender le fait qu’ils ne sont que de outsiders dans l’univers cinématographique américain. Malgré maintes qualités narratives, visuelles et surtout doté d’une certaine originalité, Shérif Jackson manque d’ampleur pour parvenir à se constituer une réputation, un réel écho.
Apprécier à Deauville lors de sa projection, à juste titre, le film de Logan Miller ose bien des controverses, faisant au passage de chrétiens intégristes la lie de cette petite humanité de l’ouest, faisant d’un homme de loi un détraqué exacerbé et d’une fille de joie le symbole de la justice sauvage. Etant honnête, j’avouerais avoir pris plaisir à ce contre pied, à cette remise à niveau, là ou la méchanceté n’équivaut pas à la bonté de la cause pour laquelle l’on peut militer. Passablement sanglant, sans pitié, dans le verbe comme dans le geste, ni pour les femmes ni pour les enfants, le film permet d’entrevoir ce que le cinéma, sans barrières morales, pourrait être. Il est indéniable que Shérif Jackson, dans sa perpétuelle recherche de noirceur comique se rapproche d’un cinéma que l’on oublie parfois, celui qui fait son bout de chemin hors des sentiers battus, référence une nouvelle fois à des grands artistes tels que Tarantino ou Scorsese.
Si Jason Isaacs fait le boulot en prophète chrétien sadique et détestable, si January Jones se la joue belle flingueuse, il est plus surprenant de retrouver là le vétéran traditionnaliste qu’est Ed Harris. Pour le coup, l’acteur ose le pari de tout laisser à la maison, le patriotisme d’un bon nombre de ses rôles, ses accoutrements toujours très sobres, son crâne dégarni de rigueur pour mettre le costume d’un fou furieux vêtu de bleu en plein désert américain. Voilà donc l’un des vieux roublards routiniers des productions hollywoodiennes standardisées dans la peau d’un excentrique, et le pari est réussi. Amusant, parfois presque dérangeant, l’acteur s’arroge la première place parmi les personnages délurés qui peuplent ce petit bout de terre hostile. Si le personnage du Shérif n’aura pas le dernier mot, il est sans aucun conteste le plus attractif de tous.
Il paraît indéniable que Shérif Jackson démontre de belles possibilités, une appréciation du cinéma très peu, trop peu courue. Certes, le concept est casse gueule, difficile à mettre en place, à finaliser, mais offre son lot de scènes remarquables, références faites à la double séquences de voyeurisme, à la fusillade entre femmes ou encore au deux cadavres fraichement déterrés dans le séjour du prophète. Parfois jouissif, un brin poussif par moment, Shérif Jackson n’est pourtant pas le film que l’on pouvait espérer, trop court, trop limité narrativement. Mais l’essai est concluant et l’on peut se permettre d’attendre les prochaines productions des frères Miller avec une certaine attention. 12/20