Guillermo del Toro est un cinéaste de l'enchantement. Si quelques films un peu hybrides émaillent sa carrière comme "Pacific Rim" ou "Blade 2", le réalisateur s'attache à cultiver des univers dont lui seul est capable. "Crimson Peak" fait beaucoup penser au très beau "Labyrinthe de Pan" ou au très secret "L'échine du Diable". En effet, ce n'est pas tant l'épouvante qui intéresse le cinéaste, que la déclinaison d'univers baroques, d'une très grande inventivité. Le sang coule, certes, sur les corps, mais rajoute à l'image elle-même pourpre. Del Toro visite les demeures qu'il habite de fantômes effrayants mais gentils, et surtout de personnages mystérieux, austères, cruels, ou à l'inverse, des personnages faussement évidents, romantiques, et totalement bons. Car les fantômes l'avaient bien prévenue, la blonde et pâle Edith, de se méfier de Crimson Peak. Presque malgré elle, la jeune héroïne qui fait penser à Blanche-Neige ou la Belle au Bois Dormant, se retrouve mariée à un manipulateur qui vit avec sa sœur dans un manoir terrible, au toit ouvert, et aux pièces innombrables. Le ton choisit délibérément le conte. Le réalisateur fuit tout réalisme. Il laisse son esprit divaguer au milieu des langueurs romantiques de ses personnages, du machiavélisme d'autres, et des fantômes terrifiants qui traversent les murs. La poésie côtoie l'horreur. Le film constitue en quelque sorte un plaidoyer magnifique à la création littéraire. Les décors sont splendides, truffés de 1000 et 1 astuces, les costumes sont incroyables, et la musique pénètre généreusement l'image. Pourtant, si l'ensemble paraît tout à fait abouti, il est difficile de résister à une sorte de déception. On pourra regretter les longueurs, souvent inutiles, les excès parfois de romantisme ou de cruauté. Mais il serait vaniteux de retenir de ce film une représentation négative, car véritablement, "Crimson Peak" est un beau voyage, féérique et sombre à la fois, dont il est impossible de ressortir indemne.