Certains cinéastes ont cette tendance, ou plutôt cette faculté à marquer notre esprit grâce à leur univers si particulier, se distanciant de toute sobriété, privilégiant ainsi les histoires de monstres et de fantômes, de contes et de poèmes, le tout dans une ambiance des plus macabres et glauques qui soit. Guillermo del Toro fait sans nul doute partie de ces actuels rares, tentant coûte que coûte de défendre leur art pour lui trouver une place au beau milieu de cette écrasante société de consommation, où l'argent prime sur la richesse... thématique. Deux ans après Pacific Rim et avec une carrière de cinéaste déjà largement confirmée, Guillermo del Toro revient donc sur le devant de la scène avec son Crimson Peak, signe assuré d'un retour aux sources, qui peut s'avérer, c'est certain, conquérant.
C'est au cours de l'époque victorienne que le réalisateur prend soin s'implanter son décor. Rien de tel en effet, que de développer son intrigue au cous de cette période de l'histoire, si représentative d'un style démesurément gothique, rappelant entre autres quelques perles du genre telles que Le Prestige, From Hell, Dracula ou encore Sweeney Todd. Nul doute que le cinéaste a trouvé le support idéal pour confirmer ses talents dans son style de prédilection : l'horreur. Le spectateur assiste en tous cas à une parfaite reconstitution d'époque dans laquelle certains mordus du genre y trouveront leur compte dès les premières minutes. La mise en scène ravit par sa richesse du détail à travers ses authentiques décors baroques, parfois métalliques, sublimés par un jeu de lumière colorée, à la limite du genre streampunk. Il est certain qu'une telle mise en scène renoue les liens entre le spectateur et certains films du genre, cependant bien plus anciens. Le travail de mise en scène de del Toro repose décidément sur un profond désir de réconcilier l'observateur avec ses émotions et ses peur d'enfance, ce côté onirique mais terrifiant.
Sur le fond, rien ne s'avère bien novateur, et il faut le préciser. Cependant, il se pourrait bien que ce soit la principale force du film. Construite sous forme de conte, Crimson Peak reprend avec entrain les codes fondamentaux de ce genre narratif pour déployer ce que nous connaissons déjà, mais sans sombrer une seule seconde dans les méandres de l'insupportable déjà vu. Guillermo del Toro revisite le genre mais parvient à le moderniser à sa manière, rendant ainsi délectable chaque détail du métrage. Outre l'utilisation des codes classiques, le réalisateur trouve le parfait équilibre avec ses faibles artistiques et livre un résultat dosé avec finesse. Ces fantômes squelettiques rougeâtres aux doigts caoutchouteux, entièrement visibles, un brin kitsch, en sont la preuve et parviennent tout de même à maintenir le côté oppressant de ce climat macabre.
Outre l'image au sens propre du terme, le réalisateur semble consacrer un amour fou pour les symboliques résultantes du genre. En effet, le spectateur assiste à une progressive descente aux enfers, à l'image de ce manoir tout aussi lugubre que fascinant s'enfonçant dans le sol, les murs ornés de son sang et ses fantômes errants, souffrant d'une telle déchéance. Cet amour entre les deux principaux protagonistes, cette flamme orangée qui les lie mais qui n'éclaire rien. Tout semble en parfaite cohérence pour cultiver l'horreur et l'émotion du spectateur devant une telle décadence. Rien ne passe à la trappe et les admirables prestations du trio d'acteurs ne font que le confirmer. Le mystère s'éclaircit et laisse place à l'horreur mais ne néglige en aucun cas l’émotion générée. Chaque détail livre sa faiblesse et renforce ainsi cet aspect poétique.
Inutile de préciser (mais je le fais quand même) que Crimson Peak est à mes yeux un vrai film de genre, fait par les mains d'un vrai maître du genre. Guillermo del Toro prouve à travers cette fresque son amour fou pour les monstres et les fantômes, auxquels il rend hommage de manière démesurément sincère. Crimson Peak est probablement le fruit le plus pur de son réalisateur, un mélodrame envoûtant traité à l'anglaise, un concentré de ce qu'il fait de mieux et un admirable retour aux sources. Outre son aspect formellement irréprochable, Guillermo del Toro inclue une subtilité romanesque délectable, renouant ainsi les liens entre le spectateur et son imaginaire d'enfance.