Un seul mot pourrait résumer mon ressenti par rapport à ce film : « débandade ». Et quand je choisis ce mot là, ce n’est pas par rapport aux attentes préalables que j’ai pu nourrir à l’égard du film puisque, en tout et pour tout, à par son titre et son réalisateur, je ne connaissais strictement RIEN de ce « Crimson Peak ». Non. Si débandade il y a bien eu, c’est surtout par rapport à la lente descente aux enfers que j’ai connu entre le début très prometteur du film et tout le reste. Parce que oui, sur ses seules premières minutes, le film avait nourri chez moi de nombreux espoirs. Ça mettait les pieds dedans tout de suite, c’était très beau et surtout c’était enlevé par une musique que je trouvais lyrique et délicate à la fois. Il y avait quelque-chose là-dedans qui relevait des vieux contes fantastiques, davantage basés sur une certaine forme de poésie baroque – une sorte de mélange entre le « Dracula » de Coppola, « Lovely Bones » et des films de Dario Argento. Tout cela était plutôt raffiné, cohérent, et me prenait bien aux tripes. C’est d’ailleurs à ce moment là que je me suis rappelé que l’auteur du film était Guillermo Del Toro, et que j’en suis venu à me dire : « avec le savoir-faire du gars, il y a vraiment moyen pour que ce film monte très haut. » Et puis finalement, très rapidement sont apparus des signes que je n’ai pas compris. Au bout de quelques minutes encore, voilà qu’au milieu de tout cela, l’ami Del Toro vient nous glisser des jumpscares et des effets d’épouvantes assez grossiers. Mais pourquoi ? Alors, je ne dis pas, pourquoi ne pas tenter un mariage des genres. Mais bon, franchement, sur le long terme, pour moi, ça ne l’a clairement pas fait. En fait j’ai l’impression que Del Toro ne savait pas trop quoi faire de son intrigue, et jamais vraiment il ne se fixe de ligne de conduite précise. Le film navigue entre les genres, sort des pistes d’écriture (comme la métaphore du fantôme) que finalement il n’exploite pas, il choisit un élément visuel très fort autour duquel il construit son univers (l’argile rouge) que là-encore il n’exploite qu’incroyablement superficiellement dans son histoire (
Tant d’intrigue pour rien ! Il y avait-il une malédiction dans l’argile ? Il y a-t-il un mystère dans l’argile ? Il y a-t-il quelque-chose dans les cuves d’argiles ? Eh bien non. En fait, la famille du héros a juste fait fortune dans l’argile. Pas de métaphore, pas d’éléments de récit liés à ça. Le mec aurait eu une mine de nickel c’est pareil...
) Et ce film a ceci de tragique que, plus il se déroule, plus il se dérobe. Toutes les pistes et les mystères du début peinent à se révéler. Une fois arrivé dans sur le fameux Crimson Peak, le temps devient incroyablement long ; un temps durant lequel il va falloir attendre patiemment la fin en se contentant des apparitions random de fantômes que l’ami Guillermo nous envoie de temps en temps pour nous distraire. Et le pire, c’est qu’au final, alors qu’on a l’air de nous faire touiller ça pendant des lustres comme si une révélation ultime allait s’accomplir sous nos yeux, eh bien en fin de compte : que dalle ! Tout ce qu’on révèle est en fin de compte ultra-basique et les méthodes utilisées pour aboutir à une conclusion relèvent des classiques les plus éculés. Alors OK, il y a parfois de beaux plans et tout cela est joliment exécuté, mais il y a quand même dans ce film une sorte de gigantesque arnaque dans sa manière d’évider l’intrigue de tous les mystères qu’elle n’a pas eu le temps de justifier (
Comment la mère d’Edith– tout fantôme qu’elle est – sait-elle qu’il ne faut pas aller à Crimson Peak ? Quels était finalement le fameux secret caché dans la cave que Lucille ne devait surtout pas découvrir ? Si c’était juste les trois enveloppes et le phonographe, n’est-ce pas un brin léger par rapport à la promesse faite ? De même, comment ça se fait que Thomas et Lucille peuvent se planter vingt fois sans mourir ? S’ils sont des fantômes liés à un lieu – comme dit dans le film – comment ont-ils pu aller en Amérique ? Pourquoi Thomas apparait-il en fantôme vieux à la fin du film ? Si on cherche à nous faire comprendre qu’en fait il est une émanation d’un temps plus ancien, pourquoi les coupures de journaux ne l’ont pas révélé ? Et surtout on nous annonce une métaphore autour des fantômes pour laquelle on ne va jamais donner d’éléments nous permettant de la comprendre !
). C’est con à dire, mais je pense que ce film s’est finalement planté violemment sur ce qu’il y avait pourtant de plus fondamental : le scénario. Ah ça oui, l’intention a l’air sublime ; la réalisation est très travaillée, les références formelles au « Dracula » de Coppola sont très belles et très intéressantes… Mais bon voilà. Avant de penser en termes de symbolisme, de style et de métaphore, il faut d’abord s’assurer que ce qu’on raconte au premier degré – c’est-à-dire le tronc sur lequel on entend développer son arborescence – soit tout de même un minimum solide et droit. Là, c’est juste incroyablement bancal. Tellement bancal finalement que Del Toro ne sait plus comment habiller son œuvre au fur et à mesure des minutes. Alors oui, c’est un bon réalisateur, donc ça passe encore à peu près. Mais finalement tout le malheur est peut-être là. S’il avait été moins doué pour enrober son film, peut-être se serait-il rendu compte que son histoire était pleine de trous béants. Alors peut-être que les plus indulgents sauront lui pardonner cela juste pour le plaisir de revoir une plastique et des monstres à la Del Toro, et tant mieux pour eux. Mais moi, sa plastique et ses monstres, je les connais déjà par cœur. Me les ressortir sans réel inventivité, ça ne me fait ni chaud ni froid. Là, en gros, le boulot a été fait les vingt premières minutes et puis ensuite on s’est mis en mode automatique en faisant un peu tout et n’importe quoi pourvu que ce soit joli. Eh bah pour moi, l’écrin a beau être joli, ça ne passe pas du tout. Et donc oui, ce film bien la raison d’une véritable débandade me concernant, d’autant plus douloureuse qu’elle fut longue et qu’elle aurait pu être évité avec davantage d’audace et de rigueur. C’est triste à dire pour un film aussi proprement réalisé, mais venant de Guillermo Del Toro, ce « Crimson Peak », ça relève presque du manque de respect à l’égard du spectateur…