Guillermo est définitivement un réalisateur atypique, qui prend visiblement son pied à varier les plaisirs cinématographiques, sans, pour autant, se renier totalement de film en film. Difficile, en effet, de trouver, de prime abord, un lien évident entre "Blade 2" (film de vampires poisseux), "Hellboy" (film de monstres bariolés) et "Pacific Rim" (croisement improbable entre "Godzilla" et "Transformers"), si ce n’est un goût prononcé pour le fantastique. Et pourtant, en creusant un peu, ces films (et le reste de la filmo de Del Toro) ont tous en commun un goût très prononcé pour les mises en scène stylée, pour ne pas dire stylisée… qui prend parfois (souvent ?) le pas sur l’intrigue en elle-même. En effet, les films de Del Toro se démarquent par leur esthétique et "Crimson Peak" est loin de déroger à la règle. Au contraire même, le film est peut être la quintessence même du style Del Toro. En effet, "Crimson Peak", qui se veut comme un hommage nominatif (voir le nom de l’héroïne) et visuel aux productions légendaires de la Hammer (avec ses manoirs, son ambiance aristocrate et ses couleurs bariolés…) est, avant toute chose, un film d’ambiance, transcendé par une beauté visuelle à coupe le souffle. Rarement un film ne m’aura autant donné l’impression d’avoir savamment pensé à l’esthétique de chacun de ses plans et d’avoir soigné, à ce point-là, ses décors. A ce titre, la manoir des Sharp est une pure merveille et, accessoirement, un personnage à part entière du film… plus vivant, à bien des égards, que ses occupants. Ce rendu doit beaucoup aux choix payants de Del Toro, qui multiplie les idées terriblement évocatrices,
du toit percé laissant passer les feuilles et la neige au parquet suintant d’un épais liquide rouge, en passant par les sous-sols sous formes d’entrailles gargouillantes et le terrain enneigé qui devient rouge.
En travaillant le mouvement et les couleurs, Del Toro évite le piège de la réalisation statique, souvent de mise dans les productions horrifiques de ce type, et confirme son statut d’artiste visuel. Cette maestria vient, bien évidemment sublimer l’histoire, en transcendant chaque fait et geste des personnages d’un romantisme palpable mais, également, d’une menace latente. Et c’est, d’ailleurs, tant mieux car, privé de son esthétique, "Crimson Peak" aurait, très certainement eu plus de mal à tirer son épingle du jeu. Non pas que l’intrigue ne soit pas à la hauteur
(on baigne, notamment, dans l’ambiance trop peu connu de l’Amérique de la fin du 19e siècle, Del Toro nous perd volontairement sur les tenants et les aboutissants de l’histoire, à commencer par les motivations de Sir Sharp… et c’est plutôt plaisant)
mais, s’il fallait trouver un défaut au film il serait sans doute à trouver à ce niveau. Car "Crimson Peak" est vendu comme un film de fantômes… où les fantômes n’ont au final, que peu d’intérêt,
si ce n’est de souffler opportunément à l’héroïne (et, donc, aux spectateurs) les réponses aux questions qu’elles se posent
. Certes, Del Toro tente de nous faire le coup de l’argument méta par le biais d’un dialogue de son héroïne
(qui écrit un livre sur des fantômes… où les fantômes ne sont qu’un métaphore)
mais, pour le coup, la ficelle est un peu grosse et le film ne se serait pas forcément moins bien porté sans apparitions fantomatiques. D’ailleurs, le seul vrai point noir du film, à mon sens, est la représentation de ces fantômes qui sont bien trop explicitement montrés, qui plus est par le biais d’effets spéciaux beaucoup trop voyants ! Un peu plus de subtilité à ce niveau aurait été salvateur… Le scénario a, d’ailleurs, parfois tendance à se montrer un peu trop hollywoodien et ne fait pas l’économie de quelques poncifs pas forcément indispensables
(l’arrivée providentielle du soupirant éconduit pour sauver sa belle, les enregistrements invraisemblablement explicites des anciennes victimes des Sharp…)
. On peut, également, reprocher
aux motivations des Sharp d’être un peu trop terre-à terre
ou encore au final de ne pas être un modèle d’originalité. Ce serait, franchement, pinailler, et ce d’autant plus que ces défauts sont sublimés par la mise en scène de Del Toro qui, même lorsqu’il fait dans le caricatural, le fait avec style et élégance ! On ne s’étonnera, d’ailleurs, pas que la BO (signée Fernando Velazquez) soit une formidable réussite qui accompagne le récit de bout en bout. Enfin, "Crimson Peak" peut compter sur un casting tout simplement merveilleux. Ainsi, Mia Wasikowska parvient, enfin, à me convaincre (ce qui était compliqué jusque-là) et réussit un numéro d’équilibriste assez compliqué
(puisqu’elle ne tombe ni dans le piège d’héroïne nunuche, ni dans celui de la guerrière increvable malgré l’absence de toute notion de self-défense)
, Jessica Chastain campe une sœur castratrice glaçante de rigidité, Charlie Hunnam sauve un rôle qui semblait promis à la caricature
(le coup du beau gosse éconduit, ça change un peu)
, Jim Beaver apporte toute sa sévérité à ce personnage de père inquiet et Burn Gorman confirme qu’il est l’une des gueules les plus étonnantes du moment. Et puis, il y a Tom Hiddleston… qui, comme toujours, remporte la mise et écrase tout sur son passage. On ne dira jamais assez de bien de la finesse de son jeu, du pouvoir de son incroyable regard et de son physique si atypique… soit autant de talents qui lui avait permis d’exploser dans le rôle de Loki chez Marvel et qui, ici encore, font de son personnage l’attraction principale du film. Son Sir Sharp apparaît, ainsi, instantanément sympathique mais laisse apparaître une face sombre qu’on devine imposée par les circonstances. Ce personnage, formidablement subtil et mystérieux, complète, ainsi, admirablement le trio qu’il compose avec son aimée
(toute en franchise)
et sa sœur
(toute en secret).
"Crimson Peak" est, donc, un film superbe esthétiquement, prenant scénaristiquement, et envoûtant sur le plan de l’interprétation. Del Toro rend, donc, parfaitement hommage à la Hammer et signer, de ce fait, un de ses meilleurs films. Son meilleur film ?