Premier long-métrage pour le réalisateur Christopher Nolan qui, malgré qu’il soit méconnu du grand public, beaucoup de spectateurs considérant encore Memento comme le premier film du Britannique, a su se faire connaître via divers festivals indépendants durant lesquels il a raflé quelques récompenses et des critiques élogieuses. Un succès certes discret aux yeux du monde entier mais qui sera pourtant les prémices d’une carrière internationale et reconnue. À l’occasion de cette rétrospective sur le papa d’Inception et d’Interstellar, voici la critique de Following, le suiveur, un film qui mérite d’être vu au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour les aficionados acharnés du réalisateur.
Faire un premier long-métrage qui puisse être repéré par des producteurs beaucoup plus influents qu’à ses débuts est le but primordial d’un cinéaste. La plupart du temps, pour réussir, il faut se plier aux règles des producteurs en question pour que ceux-ci acceptent de financer le film, le réalisateur n’ayant alors pas encore assez de pouvoir pour imposer son style ou ses ambitions, tout en se pliant aux codes du genre auquel il s’attaque (thriller, comédie, horreur…). Bien que cette remarque s’applique principalement au monde hollywoodien, elle s’adresse pourtant à chaque réalisateur en herbe qui ne cherche qu’à montrer son talent, son savoir-faire. Bien avant de connaître la notoriété grâce à la trilogie de The Dark Knight et ses premières œuvres américaines, Christopher Nolan faisait parti de ces cinéastes et pourtant, en livrant Following, le Britannique a su se démarquer très vite grâce notamment à une technique scénaristique qu’il affectionne tout particulièrement et qu’il réutilisera dans d’autres films (principalement Memento, la première partie de Batman Begins et Le Prestige) : la narration non-chronologique.
Le but est simple : le scénario et donc le film racontent une histoire qui ne suit nullement l’ordre établi par le temps. Ainsi, vous vous retrouverez avec une séquence qui se passe avant celle qui la précède dans le montage. Un procédé assez tortueux et risqué auquel le spectateur n’est pas spécialement habitué, pouvant lui faire peur et se désintéresser du long-métrage. Un danger que courait principalement Following, surtout avec une histoire aussi peu accrocheuse (un écrivain paumé qui s’amuse à suivre des inconnus dans la rue et qui devient cambrioleur malgré lui) et des personnages mis de côté au profit de l’histoire elle-même (juste un seul d’entre eux possède un nom). Au début du film, le résultat donné n’en est que plus frustrant : un enchaînement de scénettes à première vue sans aucun lien qui se terminent brutalement par un fondu en noir. Mais le fait d’utiliser une telle narration va permettre à Christopher Nolan de complexifier une histoire pourtant simple sur le papier, de se jouer aussi bien de son personnage principal que du spectateur, comme il l’avait fait pour son court-métrage Doodlebug.
Following se présente donc comme un thriller à la trame labyrinthique qui pousse le spectateur à rassembler les morceaux d’un même puzzle pour lui permettre de reconstituer l’histoire dans sa tête, jusqu’au moindre détail, et d’être impressionné par une révélation finale, un twist qu’il n’aura pas su voir venir malgré un synopsis basique. Ce film en quelque sorte interactif, Nolan le raconte certes à sa manière, mais ne laisse jamais le spectateur sur le banc de touche en lui fournissant des plans d’insert, des images subliminales qui permettent d’indiquer l’importance de celle-ci à l’histoire (gros plans sur un objet, séquence qui s’attarde sur le regard d’un personnage…). Un effet de mise en scène classique qui permet néanmoins de titiller la curiosité du spectateur vis-à-vis de l’histoire et d’essayer de la construire lui-même avant que celle-ci ne lui soit révélée. Et comme vous vous laisserez emporter par la trame et les indices disséminés par Nolan, vous vous ferez prendre au jeu comme le personnage principal.
Et le format en noir et blanc dans tout cela ? Est-ce par manque de moyen (le budget du film s’élève à 6 000 dollars) ou par caprice de Nolan qui utilise ce dernier depuis ses courts-métrages (Doodlebug en tout cas) ? Si Christopher Nolan est souvent considéré comme un excellent conteur d’histoires (ce film et son montage en sont la preuve) et non un metteur en scène exceptionnel qui use d’effets mémorables, Following saura convaincre les plus réticents à son cinéma. S’il est vrai qu’ici, le réalisateur ne fait que filmer et suivre ses comédiens (très bons, soit dit en passant), le fait d’avoir choisi le noir et blanc participe également à se jouer du spectateur. Cela donne une certaine classe à l’image, certes, mais ce format donne un côté 50’s à l’histoire, si bien que le spectateur peut se retrouver perdu en ce qui concerne l’époque à laquelle se déroule le film. Bien que celui-ci semble se passer dans le présent (suffit de voir les vêtements et les décors), le noir et blanc donne pourtant l’impression que Following embarque le spectateur dans l’époque de la Prohibition en faisant dériver son histoire dans une ambiance plutôt mafieuse où défilent décors luxueux et rétros (un club, un appartement chic), objets anciens (une machine à écrire) et une blonde hitchcockienne (coiffure et apparence vestimentaire d’époque) au service d’une histoire de gangster. Une simple apparence filmique dans laquelle le spectateur va pourtant se laisser plonger sans se rendre compte qu’il a affaire à une illusion, se retrouvant ainsi aussi naïf et impuissant que ne le sera le héros au cours de l’histoire.
Bien que Following préfère s’attarder sur son enquête et non sur l’histoire des personnages qui ne servent de pions qu’au déroulement du script, Christopher Nolan livre une première œuvre tout simplement bluffante de maîtrise tout en imposant son style scénaristique. Un coup d’essai réussi pour celui qui deviendra le réalisateur hollywoodien le plus acclamé du XXIe siècle.