Clearstream, le courant clair, la tornade blanche ou "la machine à laver"… l’argent sale ? Qui n’a pas entendu parler de cet épisode judiciaire qui a fait trembler autant les enquêteurs que les enquêtés ? Ce film-dossier très efficace, parfaitement documenté et prenant peu de libertés avec la réalité nous donne un vertigineux aperçu de la complexité de cette affaire du siècle. Auprès de ce mélimélo politico-militaro-financier, la mécanique quantique apparaît d’une déroutante simplicité. Elle commence avec des histoires de pots de vin, de rétro-commissions, se poursuit avec des décès plus que suspects pour finir dans le microcosme politique en une guerre de chefs. Nombreux sont ceux qui, dans ce long chemin, perdront des plumes.
Parfaitement interprété par des acteurs qui ont tous donné le meilleur d’eux-mêmes, ressemblances, voix ou mimiques plus ou moins convaincantes, ce film sous tension, idéalement mis en scène, nous embarque dans un passionnant thriller d’investigation surfant à la frontière du reportage et de la fiction. C’est au brun et ténébreux Gilles Lellouche de mener avec un indéniable brio parfaitement crédible une investigation dont il ne sortira pas indemne. Denis Robert pourrait passer pour un journaliste soporifique, prétentieux, se prenant pour un mélange de Woodward et Bernstein dénonçant un "Watergate" à la française. Il arrache des informations à des policiers, à des juges, à des traders, à des collègues. Tel Don Quichotte, il s’attaque seul à des multinationales d’armement, à des états dissimulateurs, à des banques très opaques et à leurs nervis, des huissiers, la DST, et lui, petit plumitif, part en croisade contre les paradis fiscaux où se dissimule la finance internationale. C’est la lutte déséquilibrée d’un David contre un ectoplasmique Goliath. Et pour ce fantôme, tous les coups, surtout les plus vils, les plus sournois, les plus retors sont permis. Les morts suspectes, les suicides organisés, les accusations mensongères, les dissimulations de preuves, tout est bon pour écraser celui qui ose tenter de mettre au jour les arrières cours peu reluisantes.
Mais être un journaliste d’investigation, c’est déranger des confrères plus prompts à vous tourner le dos qu’à vous épauler, c’est voir sa famille menacée par les huissiers, bousculée par les perquisitions injustifiées, vaticinée par la médiatisation racoleuse, terrifiée par des courriers provocateurs, apeurée par des coups de fil vindicatifs, insultée par des camarades moqueurs. C’est aussi voir un juge aussi démuni devant les secrets d’état, face aux frontières imperméables aux enquêtes et dépassé par la réactivité des banques pour qui le temps n’est pas celui de la justice. C’est alors qu’on apprend, tout ébahi, que c’est le cabinet d’audit Andersen qui va s’occuper des "comptes" de Clearstream …, on croit rêver !
Pourtant, en une centaine de minutes, Vincent Garenq nous narre un édifiant résumé de cette affaire. On y retrouve la morale chère à notre fabuliste national, la perpétuelle et inégale lutte du pot de terre contre le pot de fer, lutte dans laquelle la raison n’a guère sa place et encore moins la justice et, qu’on soit puissant ou misérable, le fléau de la balance se retrouve toujours penchant du même côté. Reste le temps car, c’est encore grâce à lui que, les limbes de l’oubli collectif ayant fait leur œuvre, une bien tardive justice sera rendue à ce journaliste trop perspicace.
Ce bon film a le mérite d'éclairer bien des zones d'ombre.