La fine fleur de l’élite étudiante niçoise se pressait hier soir à l’avant-première de La crème de la crème de Kim Chapiron, qui sortira le 2 avril 2014. Une salle caricaturale pour un film qui sonne comme un affront à tous ceux qui, issus des classes populaires, n’ont pas eu la chance de poursuivre des études, ou bien, l’on fait avec difficulté. La salle acquise, qui suivra l’équipe du film en boite après la projection, est composée en majeure partie de membres de BDE, ces associations étudiantes pour gosse de riches, pâles imitations des confréries américaines. Malaise.
Trois élèves, dont seule la femme a été admise sur dossier, d’une prestigieuse école de commerce, décident de monter un réseau de prostitution. Voilà le synopsis. Et il n’y aura pas grand-chose à rajouter. Rien de ce que vous allez voir ne servira à approfondir la psyché de nos protagonistes, si ce n’est à travers des clichés incroyables…
Kim Chapiron dit aimer mettre en scène des marginaux. Trois élèves d’HEC ? On a connu mieux comme marginaux. D’autant plus qu’ils sont tout à fait dans le système. Tout se vend, tout s’achète, le client est roi, c’est bien le credo du film. C’est là où le bât blesse principalement. On aurait espéré une dénonciation de ces inepties transformées en valeurs morales dans certaines de nos écoles les plus renommées. Et bien, le but affiché du film est tout à fait contraire, il tend à rendre sympathique, des agissements odieux. À aucun moment, on acquiert la sensation d’une condamnation des agissements des trois élèves. Cependant, insidieusement, la mise en scène s’arrange pour faire porter la responsabilité du drame sur les classes laborieuses. Tandis que les deux garçons, issu de la bourgeoisie, sont montrés comme brillant, la jeune fille qui vient de la cité est bien celle que l’on identifie comme apportant le vice dans l’affaire.
C’est donc, Kellyah (Alice Isaaz), qui s’appelle en fait Kelly, qui amorce le processus qui mènera à monter un véritable réseau de prostitution. C’est aussi d’elle que surgisse toutes les idées pratiques comme celle de louer un hôtel. C’est bien connue, les pauvres ont le vice dans le sang. À côté d’elle, les deux fils à papa semble être des anges. Notons qu’elle s’appelle Kelly, car ça fait bien beauf. Son collègue, s’apercevant qu’elle utilise un pseudonyme ne manquera pas de lui faire remarquer…
Les trois compères ne vont pas recruter au sein de l’école. Les filles de l’école sont respectables. Ils recruteront la manutentionnaire du supermarché, la distribueuse de dépliant pour une enseigne de fast-food ou bien une vendeuse en parfumerie. Bref, que des pauvres filles au smic. Et forcément, comme elles vivent dans une misère relative, elle accepte de se vendre pour quarante euros. Toutes ! Sans exceptions ! Elles n’hésitent pas longtemps. Le trio infernale ne reçoit aucun refus. En somme, Chapiron nous explique que nos femmes sont toutes des putes ! Je l’invite à tester l’expérience en vraie pour se prendre quelques soufflets !
Et puis, il faut dire aussi que, c’est bien connu, si tu n’as pas d’argent, tu n’as pas de copines, donc les pauvres vont tous aux putes… Dans quel monde, vivez-vous, Kim?
Kelly affirme au début du film à ses deux collègues qu’elle est lesbienne. Ce qui est confirmé lorsqu’une scène, dans sa chambre, chez ses parents, montre des mangas shojo-ai, c’est-à-dire des mangas érotiques lesbiens. Cependant, la mère de Louis (Jean-Baptiste Lafarge), celui qui gère le bureau des étudiants, lui assure qu’il ne devrait pas se faire une religion. En somme, être lesbienne, ce n’est pas dans la nature. Et effectivement, la fin du film prouve qu’il a réussi a la soigner de sa maladie. Consternant.
Lorsque les trois amis sont démasqués par l’administration, ils essaient de faire peur au directeur de l’école en le menaçant de révéler l’histoire aux journaux nationaux. Devant son refus, ils arguent que leur fichier de compte prouve qu’ils sont les meilleurs élèves de l’école. Tentatives dont on ne saura pas si elles réussissent à convaincre l’administration. Par une pirouette, le film ne donne pas de réponses. Confirmant par là, le sentiment terrible que le proxénétisme n’est pas ci grave que ça… C’est tellement pris à la légère. Les trois étudiants sont cyniques, et considèrent que tout peut s’acheter, mais le parti pris scénaristique est d’épouser leurs vues.
Comme pour confirmer ce ressenti nauséeux, un des spectateurs pose une affirmation incroyable lors du débat : « Vous vendez du rêve ! Moi, demain, je ne vais pas pécho à la fac. ». Et Mouloud Achour, qui joue un DJ, son propre rôle, de lui répondre : « C’est fait pour ça le cinéma, vendre du rêve ! ». Le monde rêvé d’Achour et de Chapiron est donc un monde de proxénètes, où l’essence de la vie, c’est se mettre la mine en boite, et où le mépris de classe est tellement évident qu’il fait défaillir les plus endurcis. Bonne soirée dans votre entre-soi, Messieurs. Pour ma part, je vais rentrer. Ne m’en voulez pas, je ne suis pas à l’aise lorsqu’on insulte ma femme, et celles de mes amis, dans un manifeste réactionnaire d’une heure trente…
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