Les louveteaux de Business School
Alice Isaaz ! Le mot révélation n'a rarement été aussi adapté pour qualifier une prestation. Presque à elle toute seule, elle porte le troisième film de Kim Chapiron (Sheitan). On peut tout de même garder des réserves sur la future carrière de la jeune prodige étant donné qu'elle est en parallèle à l'affiche de Fiston. (Si vous lisez cette critique plusieurs mois après la présence en salle de "la crème de la crème", désolé pour la référence très certainement actuellement disparue de la circulation). Pour en revenir à l'actrice, sa beauté extrême est très troublante. Et cela s'inscrit entièrement dans l'histoire. Surtout quand son personnage Kelly énumère deux points importants aux filles qu'elle recrute; Un, elles sont belles, deux, elle triment et trimeront toujours. C'est ce sur quoi appuie avec insistance le scénario. Mise en abîme de deux qualités d'héritage. La beauté pour les femmes qui est éphémère face à la construction de carrière masculine. Sorte d'éclairage intéressant sur un cliché misogyne trop entré dans les mœurs. Pour preuve, Kelly commence son boniment par «Je vais te dire deux choses que tu sais déjà». Le film offre un choeur de jeune étudiants (mais pas que) qui se voilent la face.
Spring Breakers, Bling Ring ou Cedric Klapisch, entre autres, ont déjà bien nourrit le cinéma de la jeunesse décadente. Il y a dans ce film la sensibilité des personnages issues de "L'auberge Espagnole" ou "Le Péril Jeune", la désinhibition de "Jeune & Jolie" et l'entrain des versions américaines. Si dans le fond de l'écriture, l'histoire de Noé Debre manque de singularité, les acteurs apportent l'émotion nécessaire à nous captiver. Les rôles eux sont singuliers dans leur vraisemblance. Le monde que nous raconte "La crème de la crème" est élitiste, le titre ne prend pas en traite. Et c'est d'ailleurs bien tout le propos du film. C'est là où c'est peut-être un tantinet surabondant. Le film fini par trop ce focaliser sur la pseudo lutte des classes sans pour autant la raconter ou être militant, et heureusement. La toute dernière image est plus que prévisible et assez désolante. Non pas dans ce qu'elle dit, mais dans la façon dont elle fait. Ce ralenti interminable coupe de tout le pragmatisme qui donne, par touches, d'excellentes notes d'honnêteté émouvante. Cette ultime scène bien trop longue, appuie l'ambivalence du film qui tangue entre excès et sobriété.
La ficelle centrale qui est tirée est un peu grosse, mais c'est dérisoire. Quoique les limites de la débauche estudiantine semblent aujourd'hui de plus en plus éloignées. L'excès est tel qu'on en rit de bon cœur, mais le fond de l'histoire est bien vertigineux. Cela créer d'ailleurs un réel malaise. Comme après la fascination que provoque l'imagerie de "Spring Breakers", une fois amusé par la crème de la crème on se retrouve face à un vide effrayant. Surtout de les voir aussi terrifiés de pouvoir être déviés d'un chemin tout tracé.
«Cela me convient» dit Louis sur le mariage arrangé qui l'attend. Les études, les projets professionnels, l'amour, l'argent sont réduits à la un calcul de productivité et de stratégie. L'école forme à un mode de vie uniformisant. Le discours sur le couple et le mariage en général est d'ailleurs hyper amer tout au long du film. En cela, la fin est plaisante dans le dernier souffle de réjouissance. Si c'est très téléphoné c'est tout de même que les rôles ont superbement transmis le sous texte. L'interprétation d'Alice Issaz ne laisse aucune ambiguïté quant au mensonge de ses premiers dires sur son orientation sexuelle. La conclusion n'en fait pas du tout un pamphlet homophobe, mais un vulgaire manipulation facilitant la prise de distance pour elle. Stratégie simple et efficace qui s'explique aussi dans sa seconde feinte, se faire croire de bonne famille. Elle tente de se fondre dans la masse. L'allocution du directeur de l'école ouvrant le film avait prévenue du chambardement de l’esprit. Elle se croit in-intégrable dans un univers qui n'est pas le sien et s'y éprend, lui se pense au dessus de l'amour mais y fait face. Le voile se lève petit à petit pour une fusion évidente mais maladroitement conclue. Dommage que cette scène qui boucle la boucle, ne s'inscrive pas dans les moments de vie saisissants qu'offrent certains passages.
La musique notamment chante une joie communicative. Les passages d'"Écoute-Moi Camarade", chanson de Rachid Taha, par exemple. Les prémices de l'exposition des sentiments entre Louis et Kelly aussi. Il tente une première fois de s'ouvrir à elle, en vain. Alors il est perdu dans ses pensées, désarçonné et troublé. Le pas mal assuré et les mains flottantes (cherchant la rencontre réconfortante d'un obstacle) trahissent naturellement mélancolie. La ferveur des soirées ou des parties de ventriglisse sont des effets naturels qui fonctionnent à merveille. Particulièrement pour le se second cas qui propose un travaille sonore intéressant, montée en puissance frémissante. Évidemment que "Les Lacs du Connemara" est un choix de facilité, mais là encore ça fonctionne.
"La crème de la crème" est une histoire d'amour universelle dans un contexte rocambolesque. La situation est plutôt intéressante dans son regard amusant mais néanmoins grave, tout en restant plutôt objective dans son traitement. Cependant on peut regretter le manque d'habileté, et surtout de profondeur, dans la narration de la relation entre Louis et Kelly. Le film est franchement fascinant dans toute sa première partie consacrée à l'intégration dans l'école (allégorie de la vie et plus particulièrement du monde du travaille). Une fois qu'ils ont fait le tour de leur business, cela devient beaucoup plus anodin. Or mis la réalisation qui captive jusqu'au bout, un peu grâce à la bande-originale.