Il y a dans La Crème de la crème deux scènes de fête assez réussies : dans la première, on aperçoit Xavier de Rosnay et Gaspard Augé de Justice, dieux impassibles posant au milieu des élites. Il suffit d'un signe de main de l'un d'eux pour faire se lever la crème de la crème : cette scène semble dire que ce n'est pas la musique de Justice qui fait remuer les étudiants, mais simplement ce qu'ils représentent : un groupe arriviste qui gère parfaitement son business. Bien vu. Dans l'autre scène de fête, les personnages ont des déguisements qui évoquent des stations du métro parisien : Louis, le Jesse Eisenberg du film (Jean-Baptiste Lafarge) apparaît tout en blanc (Louis Leblanc!), le visage maquillé, il ressemble à un vampire d'école de commerce. Trop courte, cette scène indique une direction qu'aurait pu prendre le film s'il avait osé, plus nettement, transformer le discours libéral de ses personnages en vision de carnaval: il ne suffit pas de citer Le Jardin des délices de Jérome Bosch pour ressembler au Loup de Wall Street, c'était le rythme de la mise en scène qui devait indiquer le mouvement carnavalesque du film, mais son mouvement tend plutôt vers l'essouflement, il est à l'image de l'économie du réseau de prostitution créé par les trois personnages principaux : d'abord florissant, le marché sature assez vite et le film s'en désintéresse pour sonder les émois de Louis et Kelly (Alice Isaaz) et tendre vers un happy end. Pour avoir joué avec le feu, Louis et Kelly doivent donc passer en conseil de discipline : peu soucieux de la sanction, Louis embrasse Kelly devant la direction de l'école. Ce baiser est comme un doigt d'honneur fait à la business-school, il ramène le film dans le droit chemin, celui d'une morale du sentiment qui discrédite le discours libéral des personnages et la thèse houellebecquienne qui sert de fondement au club qu'ils ont fondé pour faire le bonheur des étudiants exclus du marché sexuel. Dans Extension du domaine de la lutte, Houellebecq expliquait que le libéralisme, appliqué à la vie sexuelle, provoquait des « phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l'amour tous les jours ; d'autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l'amour avec des dizaines de femmes ; d'autres avec aucune […]. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d'autres sont réduits à la masturbation et la solitude ». Il est regrettable que le film n'ait pas osé aller au bout de cette logique, qu'après avoir vendu aux autres une vie de couple sinistre (avec mariage, divorce et « prestations compensatoires »), Louis et Kelly finissent par s'écoeurer de leur discourset qu'ils croient que leur baiser sonne comme une claque au visage de la direction de leur école. Comme si l'amour pouvait endiguer le libéralisme... Il faut être bien naïf pour conclure le film sur une scène aussi sage : croyant se dresser contre un système, Louis et Kelly en sont en fait les produits les plus aboutis. Car il y avait deux garçons au conseil de discipline : Louis, le winner, et Dan (Thomas Blumenthal) dont la vie sexuelle est plus compliquée. Entre les deux le cœur de Kelly n'a jamais balancé et il n'est pas sûr que Kim Chapiron et Noé Debré aient bien conscience du profond conformisme du choix de leur personnage. Figer le baiser final sur L'Amour et la violence de Sébastien Tellier ne fait pas entrer le moindre lyrisme dans le film. Le choix de Kelly est, au fond, un choix de bonne élève. Espérons que la direction la gardera parmi ses recrues. Dans le langage de la business school, le choix de Kelly a une traduction : cela s'appelle « sécuriser son investissement ».