La Crème de la crème enferme le spectateur dans un microcosme mercantile duquel il ne ressort qu’à de rares occasions, partageant alors la voiture et les chansons françaises braillées à tue-tête par notre trio principal. Et même les percées hors du cercle d’excellence sont placées sous le signe de l’ethnographie, cette science qui étudie l’homme en prenant en compte son milieu social et culturel. Ce faisant, Kim Chapiron atteste la contamination généralisée du virus de la réussite chiffrée qui gangrène l’élite économique du pays – et d’Europe – ainsi que sa perception du monde : tout doit être évalué, coté, estimé selon les pertes et les profits attendus, tout se remet en jeu grâce à l’argent, les corps circulent dans ces dédales de couloirs que sont l’internat et la boîte de nuit. À l’absence de cours véritables répond une mise en pratique des savoirs : ne rien apprendre, seulement constituer un réseau de relations pour garantir le succès de demain. Aux carences érotiques répond l’amour-marchandise à grands renforts de billets et de cotisations. Voici venir le point névralgique du long métrage, point qui concentre les douleurs et les espoirs, point vers lequel gravite, sans le savoir, une jeunesse qui se déguise en grandes personnes : l’amour. Qu’est-ce qu’aimer dans un petit monde obsédé par le profit, un monde où tout a un prix, un monde de faux semblants ? Aimer, c’est se raccorder in extremis à l’humain, même devant un conseil de discipline, c’est faire tomber les vestes, les chemises et les pantalons de marque pour partager un baiser, un lit, une histoire. Sous ses aspects corrosifs et libertaires, La Crème de la crème rétablit un ordre des choses on ne peut plus rétrograde, en ce sens témoignant davantage de la focalisation du réalisateur que de ses protagonistes principaux : un amour au-delà des frontières sociales, un amour impossible qui éclot dans un champ de fumier telle une pousse de fraise encore jeune et que la croquade des mûres aura permis de laisser intacte. Le film rapporte, en somme, un mûrissement dans le mouvement même d’un pas de côté, il répand la crème sur les fraises pour mieux donner à voir et à vivre l’ascétisme nécessaire à l’éclosion d’un amour véritable. Parti pris intéressant, mais parti pris qui restaure au sein d’un édifice vicié une pirouette moralisatrice contestable. Face à l’immoralité, le film paraît donc se dérober, en dépit de quelques fulgurances érotiques plutôt réussies.