Réalisant son premier film, qu’il scénarise également, l’acteur italien Andrea Di Stefano utilise une histoire d’amour comme filtre pour expliquer la violence des cartels et de l’État colombien. Porté par le jeune Josh Hutcherson (que l’on a vu dans Hunger Games 2 : L’embrasement), Benicio del Toro qui incarne le tristement célèbre Pablo Escobar et Claudia Traisac (bluffante, venue de la télé espagnole), Paradise Lost touche au cœur du drame colombien. Qui d’autre qu’un réalisateur italien était plus à même de parler de la violation de l’intimité par les systèmes mafieux?
Nous sommes au début des années 90. Nick (Josh Hutcherson) est un jeune canadien venu en Colombie avec son frère Dylan (Brady Corbet) et de belle-sœur, Anne (Ana Girardot) avec l’intention de créer une école de surf sur une plage abandonnée. Au village, il fait la rencontre de Maria (Claudia Traisac), c’est un coup de foudre. La jeune fille est la nièce du narcotrafiquant Pablo Escobar (Benicio del Toro). Nick va entrer dans la famille sans réellement en comprendre les risques.
D’un classicisme bienvenu pour un tel sujet, la réalisation d’Andrea Di Stefano est sobre et frontale. Elle donne à la fois une insondable beauté à l’amour qui anime Maria et Nick tout en entretenant un malaise palpable. Di Stefano aurait pu épouser les vues de Pablo Escobar, le suivre, tenter de le comprendre, voir comme ça à souvent été le cas dans le cinéma, en faire une sorte de héros en négatif. Une scène où Pablo montre la voiture qui aurait était celle de Bonnie and Clyde à Nick semble un écho lointain de cette tendance, une sorte de rappel de Bonnie and Clyde d’Arthur Penn où les méchants sont icônisés et rendus sympathiques. Il n’est pas question de ça dans Paradise Lost. Il est vrai que le film s’ouvre sur la campagne politique de Pablo Escobar qui, un temps, reversa une part des monstrueux bénéfices de ses trafics à la population en construisant des dispensaires et des maisons neuves en lieu et place des bidonvilles existants. Mais jamais Di Stefano ne pose un regard complaisant hormis à travers le prisme déformée des yeux aimants de sa nièce.
D’un côté, se déroule donc une histoire d’amour forte et idyllique. Baignant dans le bonheur et sans soucis matériels, Maria et Nick profite de l’argent de Pablo que Maria idéalise comme un mécène providentiel pour le peuple comme pour son couple. Les deux jeunes gens se fiancent. Comme dans la réalité, jamais nous ne verrons Escobar se salir les mains à l’écran. Une sorte d’accord tacite avec le gouvernement corrompu lui permet de se maintenir à la tête du Cartel de Medellín. Jusqu’au jour, où prenant trop d’importance et décidant de se mettre à la politique, il devient l’ennemi n°1 de ses amis d’hier. Une guerre sans merci est lancée contre le gouvernement. Malgré leur prétendu lutte pour combattre le crime, narco-trafiquants et capitalistes à la tête des états ont des intérêts communs que seul une lutte de pouvoir vient rompre parfois. Parce que ceux sont dans ces circuits que les armes circulent également et que l’on blanchit l’argent des paradis fiscaux. Les plans où il se comporte en bon père de famille, jouant dans la piscine, récitant de la poésie pour sa femme détonne avec les assassinats qu’il fait perpétrer. C’est ce froid traitement qui rend le cartel encore plus impitoyable à l’écran et son patron terriblement cynique. Les femmes et les enfants ne sont pas épargnés. La violence souvent hors plans est pourtant particulièrement éprouvante pour le spectateur. Justement parce que, choisissant de ne pas vraiment la montrer, Di Stefano la transporte dans un indicible ailleurs, lui donnant un caractère inéluctable qui la rend encore plus inique.
On ressort bouleversé du cinéma, profondément touché par cette histoire d’amour tragique et impossible et choqué, même si on le savait déjà, par la collusion entre mafia et partis politiques. Paradise Lost est une fresque grandiose et pose la question, spécialement en Amérique latine, du bonheur individuel malmené par des intérêts financiers supposé supérieur par une élite méprisante et proche du gangstérisme. On donne au peuple des pains et du jeux, et comme partout, le grand banditisme est soutenu à la fois par les services secrets yankees, l’Église et certains gouvernement immoraux. Les pertes collatérales n’ont alors aucune valeurs lorsque tous ces voyous règlent leurs comptes. Et même les amoureux qui pourrait transcender ce cercle de violences ne sont pas épargnés.
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