On annonçait le nouveau film de Cronenberg comme une satire corrosive à l'encontre de Hollywood. L'histoire d'une famille vaguement dysfonctionnelle. Un best of des pires moeurs du milieu cinématographique.
Il n'en est rien. A la vision de cet opus nouveau du cinéaste de la chair cérébrale ne découle qu'un pensum vide comme tout.
La plus grande frustration s'illustre par une simple question : mais où est donc passé David Cronenberg ? Les puristes y verront l'ADN concentré du cinéaste. Hors, qu'il y a t-il de plus agaçant que d'y voir une simple trace d'ADN quand on aurait demandé la patte ? Le cinéma du canadien a toujours été un cinéma agressif, tourmenté, caractériel, où la chair organique se mêlait par adaptation narrative à la chair cérébrale. Mais David, pour la première fois de sa carrière, a changé de camp. Le mauvais goût assumé de ses films, quant à l'avis général du politiquement correct et de l'appétit du spectateur, s'est désormais muté en vulgarité. Autrefois, David filmait la chair, la vraie, dans toute sa gestuelle difforme ("La Mouche", "ExistenZ", "Le Festin Nu") ou plus récemment humaine ("A History of Violence" à "A Dangerous Method"). C'était là le principe même de son cinéma, la caractérisation évidente de sa mise en scène qui adoptait cet amas de sang.
Aujourd'hui, David, oui, a troqué sa substance contre l'ectoplasme. Des fantômes, "Maps to the Stars" n'en manque pas. Mais quel intérêt y a t-il à filmer des hallucinations si celles-ci ne sont pas justifiées et ne s'incluent que par intermittences ?
Le trauma de la famille Weiss est semble t-il un incendie provoqué par la fille aînée, Agatha. Autrefois, Cronenberg aurait parsemé son film d'images subliminales, arrivant logiquement dans la lignée de la déréliction mentale de ses personnages. Maintenant, le champ contre-champ se charge, avec toute la charge explicative du monde, de faire passer l'émotion. Mais à un certain stade du film, Cronenberg n'est pas fait pour ça. Dans "Maps to the Stars", le dialogue a remplacé le mouvement. Les caractères se substituent à la mise en scène. Ce sont des épaves qui déambulent dans un Hollywood aseptisé. Voudrait-il parler par le biais de ces pantins de la vacuité de ce monde ? Jamais. L'espace dans lequel évolue les différents personnages ne fait jamais qu'un avec eux. Jamais ne ressent-on le trouble obsessionnel de chacun. Le problème est bêtement narratif. Aucune évolution, juste un parcours pré-défini de ces marionnettes interprétées avec force mais sans face cachée. Les rares scènes de violence ne sont précédées que par une dispute. L'exaltation vertigineuse dans laquelle on aurait aimé se plonger n'arrive jamais. Canalisée dans sa limousine, la mise en scène de "Cosmopolis" brillait, laissant la chair humaine se contracter dans un espace réduit, laissant place à un dialogue alimenté par une certaine claustrophobie avant d'exploser en trouvant dans sa dernière partie une libération du récit et des personnages dans un milieu hostile, contre point parfait du grand espace vis à vis de l'intérieur d'un véhicule.
Dans les villas de Hollywood, Cronenberg n'a plus rien à filmer, si ce n'est, comme la preuve d'un premier degré tellement flagrant d'hommage au reste de sa filmo, des scènes fantomatiques.
Cronenberg s'attaque à l'esprit plutôt qu'à son épicentre, le cerveau. Un organe qu'il rendait tellement plus vivant par le passé en ne filmant, que par le biais d'un visage apeuré, l'homme face à sa propre constitution. Un art du matériel, premier degré en ascension de la graduation de l'imaginaire du spectateur. Une osmose que "Maps to the Stars" n'atteint jamais, et qu'il n'essaie même pas d'atteindre.
Ce 21 mai 2014, Cronenberg a troqué le fluide contre l'esprit. Le matériel contre l'immatériel. Si c'est un mal, c'est justement parce que le génie canadien n'est pas fait pas pour ça. Ou plus explicitement en référence au poème répété encore et encore durant le film, la liberté contre l'enfermement.