Avec Map to the stars, David Cronenberg revient à son meilleur après Cosmopolis qui péchait un peu par sa lenteur exaspérante. Sa dernière création mélange brillamment thriller et drame avec un brin de fantastique. Cronenberg revient ainsi à ses premiers amours, et ne néglige pas, comme dans l’ensemble de sa filmographie, une certaine critique sociétale. Pour réussir son pari, il s’entoure de Robert Pattinson, qui arrive à nous faire oublier qu’il fut la star de Twilight, pour leur seconde collaboration, de Julianne Moore, récompensée par le prix d’interprétation féminine cette année à Cannes, et de Mia Wasikowska (révélé dans le Alice au pays des merveilles de Tim Burton), qui aurait sans doute mérité davantage cette reconnaissance. Mais on le sait, Cannes est frileux.
Un psychothérapeute en vogue, Stafford Weiss (John Cusack) gère d’un main de fer sa famille. Sa femme est la manageuse de leur fils, Benjie (Evan Bird), un enfant star de treize ans sur qui la production fait pression après qu’il est dû subir une cure de désintoxication. Leur fille, Agatha (Mia Wasikowska) vient d’être libéré de l’asile psychiatrique où elle fut internée après avoir mis le feu à l’ancienne maison de ses parents. Cette dernière, par l’intermédiaire d’un chauffeur, Jérôme Fontana (Robert Pattinson), s’introduit au service d’Havana Segrand (Julianne Moore), star perturbée consultant Stafford Weiss.
Map to the stars bénéficie de plusieurs niveaux de lectures. C’est d’abord, une critique acerbe de la caste hollywoodienne, de ses satisfactions malsaines, et de ses mensonges éhontés. Les producteurs de Benjie se moque bien que le gamin se bousille la santé, tant qu’on ne le sait pas publiquement. Stafford Weiss, psychiatre de toutes les stars, cachent des secrets bien plus lourds que ce qu’il traite dans son cabinet, avec des méthodes, disons-le, assez perverses et dé couple a abandonné leur fille à son sort sans-même prendre de ses nouvelles. Havana Segrand possède un ego démesuré et ne supporte plus la décrépitude de sa carrière, et le fait payer à ses gens de maisons qu’elles nomment « esclaves » et traite comme tels. Enfin, Jérôme Fontana, scénariste à ses heures perdus, entretient une idylle avec Agatha, simplement pour s’en inspirer, lui faisant miroiter un amour sincère. Agatha, la seule à être diagnostiquée comme malade, est pourtant la plus sensible et la plus humaine de la troupe. L’inéluctabilité seule de cette déchéance ambiante, réveille en elle des pulsions nihilistes. Son père est certainement le plus antipathique. Citant le Dalaï-lama à tout rompre, son positionnement zen reste une façade pour un caractère fondamentalement violent, un peu à l’image de la société théocratique et féodale sévissant au Tibet, et dont l’on fait peu la « mauvaise » pub en Occident. L’immolation de sa femme sonne comme le comble du comble. Cronenberg met une gifle à tous ses vendeurs de développement personnel, ses gourous du dimanche. Une claque jubilatoire. John Cusack est tout simplement sidérant tant sa colère sourde transpire à l’écran.
Cronenberg maquille le tout d’un vernis de fantastique. C’est une idée sublime pour représenter ce monde de fantasme. Tous les personnages sans exception ont des visions d’outre-tombe. Havana est hantée par le fantôme de sa mère incestueuse tandis que Benjie semble poursuivie par un couple d’enfant dont on taira ici l’identité pour ne pas trop vendre la mèche. La frontière reste très mince entre des entités malveillantes et indépendantes et le simple reflet de leurs propre psyché. La violence est omniprésente sans jamais éclater, si ce n’est à la toute fin du film. Par le remarquable jeu des acteurs, et une mise en scène sobre et efficace, Cronenberg instille une sensation de malaise récurrente. La violence, est avant tout, celle symbolique, des faux-semblants. Après une interlude sanglante, ramenant le cinéaste aux sources, filmé sans fard, et avec bienveillance pour Agatha, le film se conclu sur un dénouement pensé comme un manifeste anarchiste. Comme si fuir pouvait être une Eluard , poète résistant, qui exaltait la vie, et l’engagement politique est constamment cité durant le film par Agatha à travers son poème La liberté dont je ne peux pas m’empêcher de citer quelques vers :
« Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté"
Une ode à la vie, et à la paix retrouvée, dont je ne suis pas sûr que nos héros est vraiment saisi le sens. Mais qui donne, par sa seule présence, répétée inlassablement, un cachet inestimable au film. Ce concluant sur ces dernières vers, le long-métrage réussit à donner une ineffable beauté au geste sans retour des deux adolescents. Face au mensonge, face au cynisme, face à la mascarade, au cycle ininterrompu de souffrance et de haine, ne sommes-nous libre que face à la mort ?
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