Depuis la création de la première Silly Symphony, La Danse macabre (1929), la musique a toujours occupée une place essentielle dans les dessins animés de Walt Disney. En 1937, lorsque les films de Mickey commencèrent à décliner, Disney décide de produire un court métrage de prestige, plus ambitieux artistiquement. Il choisit l'Apprentie Sorcier de Paul Dukas (1897), une œuvre musicale parfaitement adaptée à cette nouvelle idée. Pour cela il va même faire appel à Leopold Stokowski, le plus grand chef d'orchestre du monde, qui accepte de contribuer à son projet. Mais faute de coûts onéreux, il sera impossible à Walt d'en faire un simple court métrage. À partir de ce moment là, Walt va entrer dans la production de son troisième long métrage qui est assurément la pièce maîtresse de toute son œuvre tant il résume à lui seul sa passion pour la musique, l'animation et l'art en général : Fantasia, le chef d’œuvre le plus ambitieux de son époque. Fantasia s'avère être un projet colossal constitué d'un ensemble de dessins animés (sept séquences), une compilation d'œuvres où chacun illustrerait un thème du répertoire de la musique classique (huit morceaux). Fin 1937, en parallèle à la production de Pinocchio (1940), l'ensemble des artistes (superviseurs, réalisateurs, producteurs, scénaristes et animateurs) se mirent sur Fantasia pendant que débuta, début 1938 au studio Selznick, plus vaste que celui de Disney, le tournage des séances d'enregistrements des différentes partitions musicales supervisées par Bill Garity et de la mythique séquence d'introduction en prise de vue réelle avec Leopold Stokowski à la tête de l'Orchestre de Philadelphie dans un décor stylisé. Fantasia comporte trois genres de musiques animées : une musique narrative qui raconte une histoire, une musique illustrative qui brosse des tableaux et une musique qui n'existe que pour elle-même (c'est le cas de l'ouverture du film). Le spectacle débute et nous commençons avec la "Toccata et Fugue en Ré Mineur" de Jean-Sébastien Bach où le ton du film est donné : musique puissante, éclairages colorés, silhouettes des musiciens en ombres chinoises et nous basculons dans l'animation avec cordes rectilignes, formes abstraites, figures géométriques et aux cieux pour le final (un soleil rouge) dirigée par Samuel Armstrong, inspiré du styliste allemand Oskar Fischinger. Ensuite nous entrons dans le côté le plus magique et féérique de Fantasia mettant en scène des extraits du ballet "Casse-Noisette" de Piotr IIitch Tchaïkovski avec plusieurs fées libellules virevoltent parmi les fleurs sur fond de musique douce, cristalline et apaisante et apporte une luminosité étonnante, enchaînant sur des champignons dans une chorégraphie humoristique au charme incontestable, entièrement animée par Art Babbitt, nous suivons des centaines de fleurs transformées en ballerines descendant le cours d'une rivière puis dans ses profondeurs au milieux de plantes aquatiques et de magnifique poissons exotiques (une d'elles ressemble à Cléo^^) dansant un ballet sur fond de musique lancinante puis rupture avec une musique faisant surgir des chardons costumés en cosaques pour une danse russe endiablée pour enfin s'achever sur l'évolution des fées pendants les saisons. Puis vient une trame narrative, c'est l'Apprentie sorcier mettant en scène Mickey (certainement son plus beau rôle au cinéma) vêtu d'une robe rouge et d'un chapeau magique emprunté à son maître le sorcier Yensid (anagramme de Disney) voulant apprendre la magie mais il sera complètement dépassé par les catastrophes avant même d'être en mesure de les contrôler. Cette séquence célèbre et étrange ne comporte aucun dialogue, ni effet sonore, uniquement de la pantomime et de la continuité musicale, exit les gags burlesques, tout est dans la fantaisie et l'imagination (Mickey qui rêve) et assure définitivement à Mickey son rang d'étoile planétaire. Le ton du film change radicalement à travers le Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky (1913) qui illustre la création de la vie sur Terre, la partie la plus réussie reste l'animation des créatures préhistoriques, en particulier le combat animé par Wolfgang Reitherman entre le tyrannosaure et le stégosaure avec des effets spéciaux très réalistes : mention spéciale pour la reconstitution des éruptions volcaniques et des coulées de lave particulièrement spectaculaires. Milieu du film (Entracte) la Piste sonore (mini-séquence de 3min) reprend certains instruments (harpe, violon, flûte, trompette, basson, grosse caisse) pour nous divertir. Puis la Symphonie Pastorale (6°) de Ludwig van Beethoven (1808) illustre, avec une dimension mythologique, une journée sur le mont Olympe emprunt de gaieté et de joie de vivre mettant en scène une famille de Pégases, petites licornes, petits anges ailés, centaures et centaurettes animés par Fred Moore, Bacchus / Dionysos et son âne licorne complètement soul animés par Ward Kimball, d'autres dieux comme Zeus et Héphaïstos (nuages, vent, foudres, éclaires); Iris (arc-en-ciel); Apollon (Soleil); Nyx (nuit) et Diane (Lune) terminent de la plus belle des manières cette journée. La "Danse des Heures" composée par Amilcare Ponchielli tiré de l'opéra "La Gioconda" est la partie la plus drôle du film qui nous met en scène un ballet classique avec pour vedettes des autruches, des hippopotames, des éléphants et des crocodiles (tous animés par Joe Grant) conçues dans un esprit très cartoon et parodique du ballet s’achevant dans un formidable "n'importe nawak^^" mais j'adore et j'en redemande. Pour le final de Fantasia, voici la partie la plus terrifiante "Une nuit sur le Mont Chauve" de Modeste Moussorgski (1876) avec LE monstre le plus effrayant de l’univers Disney : Chernabog, personnage central de cette légende mythique d'un sabbat nocturne sur la montagne Triglav près de Kiev, créé et animé par Bill Tytla, les décors réalisés au pastel par Kay Nielsen sont sublimes, la présence et la force qui se dégagent de ces animations restent un exemple pour les animateurs d'aujourd'hui. Enfin "l’Ave Maria" de Franz Schubert (1825) est très différente de conception et de ton qu’elle se met réciproquement en valeur avec elle en se fondant dans l'ultime partie du film où nous suivons à l'aube brumeux une longue procession de pèlerins avec des flambeaux en marche vers le Paradis, à la fois calme et silencieux, la séquence entière est une prouesse technique en plaçant pour la première fois la caméra multiplane de façon horizontale (elle n'était que verticale), filmant le long travelling (de gauche à droite) en donnant le plus de relief possible et nécessaire encore plus spectaculaire aux gigantesques décors entre les nuages et les arbres. Bluffant ! Vous l'aurez compris Fantasia est un Chef-d’œuvre ! Fantasia est bien plus qu'un simple film, c'est un film-concert absolument envoutant pour son audace et son originalité, une sorte de voyage dans toutes les expériences esthétiques disponibles à l'époque en 1940. Bien que l'animation et le réel soit chacun de leur côté, je tiens à souligner que Fantasia possède la toute première scène de l'histoire mélangeant animation/live (Mickey vient féliciter Stokowski et lui serre la main). Je tiens moi aussi à féliciter la performance de Leopold Stokowski et de son orchestre (mention spéciale pour quelques musiciens qui improvise un petit air pour détendre l'atmosphère lors de la pause à l'entracte avant la Piste sonore^^) ainsi que tous les artistes dont les talents réunis ont permis de créer ce film exceptionnel. Fantasia occupe une place éminemment particulière dans le cœur de Walt Disney lui-même et dans la filmographie de sa compagnie toute entière. À l'époque de sa sortie, Fantasia était hors du temps, aujourd'hui il est immortel et je le considère comme un chef d’œuvre absolu du 7ème art.