DU BON ET DU MAUVAIS MAIS GLOBALEMENT REUSSI
Voilà les huit mots qui peuvent résumer ce très beau film qu'est Fantasia. Le choix de présenter ce film comme un ciné-concert est très réussi. On a déjà l'impression d'être face à un film d'animation abstrait rien qu'au lever du rideau avec les musiciens en ombres chinoises qui s'accordent comme à un concert en direct. On se rend compte qu'ils ne donnent pas vie au film mais qu'ils font partie du film quand on voit la salle se transformer en dessin-animé abstrait lors de la Toccata et fugue en ré mineur de Bach. Puis les éléments du ciel ne sont guère des nuages, le soleil, la lune, le jour ou la nuit ou ceux de la Terre l'eau ou autre mais des parties d'instruments de musique avec des cordes, des vagues de violons, des notes de musiques, des cercles et autres formes géométriques. Digne d'une oeuvre contemporaine mais animée.
On dit tous que Disney avait pour but de faire découvrir la musique classique en illustrant les oeuvres des plus grands compositeurs connus avec des séquences animées car il avait toujours eu une grande admiration pour Bach, Beethoven, Schubert, Mussorgsky, Dukas, Stravinsky, Tchaikoisky plus jeune...et voulait faire partager cette même passion au jeune public qui ne l'avait pas forcément. Mais à l'exception de 3 séquences réellement pour les enfants comme L'Apprenti Sorcier de Paul Dukas (musique ayant été écrite d'après un poème de Goethe donc ayant toujours été narrative) avec notre chère souris fétiche Mickey en magicien (qui a rendu Disney célèbre) dans le rôle titre (séquence aujourd'hui la plus connue de Fantasia [qui a d'ailleurs été réutilisée dans la suite Fantasia 2000]), La Danse des heures d'Amilcare Ponchielli, ballet illustré avec des animaux et Casse-Noisette de Tchaikoisky (ballet qui a été écrit d'après un conte pour enfant au XIXe siècle) avec des fées, des fleurs et créatures magiques rassurantes, le reste du film semble plutôt s'adresser aux adultes voire à tout type de public. On y retrouve à travers Le Sacre de Stravinsky la primitivité de la Terre et la fragilité de son écosystème avec violence: éruptions volcaniques, poissons se dévorant, animaux s'entretuant, détruisant aussi la planète (à l'origine le ballet présentait des tableaux montrant des humains fêter le printemps en piétinant des fleurs, accomplissant des rites païens, s'entretuant, hurlant et accomplissant des sacrifices) et où seuls les plus forts s'en sortent face à la cruauté et à la bestialité du monde: le soleil accablant qui tue à cause de sa chaleur, assèche et fait mourir de soif, fait disparaître la nourriture, les dinosaures s'entretuant (la séquence du tyrannosaure attaquant puis tuant lentement un autre dinosaure pour finalement le dévorer m'a terrorisé et me fait toujours aussi peur) puis le tremblement de terre final pour "sacrifier" les dinosaures est ce qu'il y a de plus terrible pour les yeux aussi bien que pour les oreilles: ce que l'on peut qualifier de beauté effrayante. Certains ont râlé par rapport au non-respect de la vision de l'oeuvre originale mais moi, je pense qu'il s'agit d'une autre vision qui montre combien le monde peut être primitif (chose qu'a voulu montrer Stravinsky) et cruel sans raison et cherche toujours la mort pour une raison ou une autre voire aucune.
Les mots "Beauté Effrayante" peuvent aussi être utilisées pour la séquence Une Nuit Sur Le Mont Chauve de Mussorgsky où on a l'impression d'assister à une nuit de sabbat où les démons revivent pour être tués à nouveau et où toutes formes de mythologies du mal sont utilisées notamment Chernabog des légendes slaves. Un ballet où l'on voit du feu, où l'animation colle parfois très exactement au rythme de la musique comme dans de nombreuses séquences musicales de ce très film (notamment dans L'Apprenti Sorcier où les gestes "magiques" de Mickey ressemblent à ceux d'un chef d'orchestre diriger ses mains quand il donne vie au balais ou encore quand il tente de le détruire à la hache quand son contrôle lui échappe). De très belles images, de très belles couleurs avec une animation fluide impressionnante pour l'époque (1940); dites-vous que tout ceci est fait à la main: dessin, couleurs...Tout! Du grand art! On se laisse emporter par le rythme de la musique malgré l'absence de dialogues et cela à n'importe quel âge.
Malheureusement, il y aussi des défauts: déjà, la durée du film: il faut savoir qu'un Disney d'animation (bien que celui-ci sorte de la norme) est connu pour rarement dépasser 1h30. Or, celui-ci dure 2h. Et pour le choix du style de film, l'idée de la durée n'est pas forcément la meilleure. Déjà parce que regarder une suite de courts-métrages, même avec de la très belle musique faite par les plus grands compositeurs de tous les temps, à force ça devient lassant, en particulier quand c'est illustré par une suite de tableaux. Quand on veut faire un long concert de 2h, mieux vaut le faire sans images, on se laisse plus facilement emporter. De plus, avec le schéma du film adopté, c'est encore plus agaçant: le ton du film de la voix off (bien que donnant des explications utiles sur les musiques qu'on va écouter ou sur le style de musique choisie [musique narrative musique présentant une suite de tableaux musique absolue]) est non seulement cérémonieux et soporifique mais en plus elle revient après chaque séquence comme pour faire une intervention inutile "Alors en fait au sujet de ce que vous allez entendre, il s'est passé ça..." Vous n'avez qu'une envie, hurler "TAIS TOI!" (ou au pire vous endormir). En plus, ce sera toujours la même chose:
-voix off, séquence musicale animée -voix off, séquence musicale animée -voix off, séquence musicale animée...
jusqu'au générique de fin. Le seul moment où cette maudite voix fait une intervention non pas utile mais drôle est celle où elle présente la timide "Piste Sonore" qui nous montre en image l'importance des sons dans la musique tout en apaisant avec comique et poésie cette piste sonore vivant dans l'ombre des instruments de musique.
Ensuite la séquence la séquence de La Symphonie Pastorale de Beethoven que Disney a situé sur l'Olympe des Dieux, à mes yeux, n'est ni un bon choix, ni une bonne vision. Ca m'a extrêmement déçu car j'aime beaucoup cette oeuvre que je trouve belle musicalement mais aussi parce qu'à la base, elle décrit un style de vie de vie champêtre (en rapport avec la campagne). Et lui donner une dimension mythologique ne la glorifie pas ou ne la rend pas adulte avec les rites du vin de cher Dionysos. Au contraire, ça la massacre allègrement. Contrairement à Le Sacre de Stravinsky illustré par la primitivité des premiers habitants de la Terre donc dans le ton de la brutalité gratuite du sacrifice (les dinosaures tous "sacrifiés"), ici, Disney s'éloigne totalement du but premier de Beethoven et rend la musique narrative avec une suites de petites histoires niaises sans grand intérêt (un cheval ailé qui apprend son premier vol avec sa mère, Zeus et Dionysos qui se prennent et qui à cause de ça s'en prennent à tout l'Olympe avant que le calme ne revienne...). En plus, contrairement aux couleurs des autres séquences qui sont sobres et jolis, dans cette séquence, les couleurs sont tellement flashys qu'elles font mal aux yeux qu'elles en deviennent insupportables à regarder voire presque écoeurantes. En bref, la musique garde toute sa beauté mais on est pas du tout dans la vie champêtre. Plus que dommage, massacre impardonnable d'un chef d'oeuvre! Puis, quelque chose qui rompt totalement avec l'esprit Fantasia; ça ne dure pas longtemps, mais ça gâche quand même le film, le passage où Mickey et le chef d'orchestre se félicitent mutuellement. Certes, Disney voulait redonner un peu de place à sa souris fétiche dont la popularité commencer à décliner mais ON VENAIT DE LA VOIR DANS UNE SEQUENCE QUI LUI ETAIT CONSACREE. Ca n'était pas la peine de la faire parler juste pour tenter d'attirer l'attention du spectateur au cas où il ne se sentirait pas attiré par le film, la musique fait bien les choses. On doit rester dans cette ambiance concert et ne pas entrer d'un coup dans une ambiance film d'animation "normal" sans raison. C'est plus déstabilisant qu'autre chose. On sait plus ce qu'on regarde après. Ce passage aurait été plus justifiable si Fantasia s'était terminé par la séquence de l'A.S avec Mickey et le générique de fin et non pas repasser directement à l'ambiance concert comme si de rien n'était.
Pour finir, le pire défaut de tous, je n'ai rien contre l'Ave Maria de Schubert. Au contraire, j'adore cette oeuvre, je la trouve très belle et je trouve que l'illustrer par des femmes qui tiennent des torches et parcourent une forêt en suivant le soleil est très joli et une idée bien trouvée. Mais...POURQUOI L'AVOIR TRADUITE EN ANGLAIS? A la base, c'est en latin! Qu'ont donc les américains à traduire la musique classique? Ils sont pratiquement les seuls à le faire. Je veux croire que c'était utile pour les enfants américains qui regardent mais on l'a jamais traduit en France. Je crois même d'ailleurs qu'on a remis le thème latin d'origine si mes souvenirs sont exacts. Franchement, on peut quand même obtenir des choses ridicules quand on essaie trop de trucs.
Mais bon, ces défauts sont assez minoritaires et peu visibles et le film est plutôt majoritairement réussi. Plus qu'un film, c'est une expérimentation au sujet de ce que l'on peut faire avec les éléments que l'on a entre les mains et ce qu'ils nous inspirent (et l'on peut voir ce que ça donne en bien et en mal). On voit ici un Disney qui s'essaie réellement à quelque chose d'artistique et tente de donner tout ce qu'il a. Certes le film n'a pas que des bons côtés mais les critiques ont été trop durs avec lui lors de sa sortie et le public a eu tort de ne pas se déplacer au cinéma. Plus tard, il a bien fait de s'y intéresser davantage et les deux oscars qu'il a reçu (malgré l'échec commercial) étaient mérité. En regardant le film, on ne voit ni héros Disney, ni histoire globale. Et pourtant, on est face à un ciel ouvert au début et à la fin à un soleil couchant en entendant des notes juste avant un générique de fin muet. Pourquoi? Parce qu'au final, le héros Disney, c'est le spectateur qui a fait face à des méchants qui l'ont effrayé étant petit (les balais noyeurs, le tyranosaure, Chernaborg...) mais qui se rappelle qu'ils ne sont pas réels une fois qu'il grandit ou bien qui se sent rassuré par le Ave Maria final doux. Ou alors si c'est un adulte qui regarde Fantasia, il aime ou il aimera pas mais il ne restera pas insensible aux efforts apportés par les animateurs pour faire découvrir la musique classique aux enfants mais aussi à tout type de public.
Fantasia, tu vaux le coup d'oeil.