Après Blanche-Neige et les Sept Nains et Pinocchio, Fantasia est le troisième long-métrage du studio Disney, avec un format et un concept qui s’écartent radicalement des grands classiques contemporains du souverain de l’animation et qui se rapprochent presque du cinéma d’essai.
Réalisé en parallèle de Pinocchio, en 1940, Fantasia est un projet ambitieux et en avance sur son temps, né dans l’esprit de Walt Disney depuis déjà plusieurs années. Trois ans plus tôt, en 1937, l’une de ses équipes travaille à la réalisation d’un court-métrage intitulé « L’Apprenti sorcier », un projet artistique innovant ayant l’objectif de concilier animation et musique classique. La même année, Walt Disney rencontre le célèbre chef d’orchestre britannique de l’époque, Leopold Stokowski, et lui propose son concept de court-métrage musical, en lui demandant de diriger un orchestre pour la bande-sonore du film, une demande à laquelle le chef d’orchestre répond favorablement. A la tête de l’orchestre de Philadelphie pour encore quelques mois, Stokowski enregistre les scènes de l’Apprenti sorcier en janvier 1938, mais lui vient alors une idée qui sera à l’origine du film que l’on connait aujourd’hui. Convaincu par le concept proposé par Walt Disney, Stokowski lui propose de le reprendre, de le développer et de créer une série de séquences animées, accompagnées de thèmes musicaux. Convaincu, Disney engage un expert de la musique classique, Deems Taylor, qui deviendra plus tard le narrateur du film.
Walt Disney et son équipe décident alors des autres compositions à intégrer et des thèmes à aborder. Naturellement, le court-métrage de l’Apprenti sorcier est conservé, avec les personnages de Mickey Mouse, déjà bien connu mais avec un succès déclinant, et du mage Yensid (« Disney » lu à l’envers), un protagoniste aux traits de caractère directement inspirés de Walt Disney. Les autres courts-métrages produits se rapprochent beaucoup des Silly Symphonies, cette série animée produite entre 1929 et 1939, et qui a servi de laboratoire pour expérimenter diverses techniques d’animation utilisées plus tard dans les chefs d’œuvre du studio. Quant aux sept musiques classiques sélectionnées, elles l’ont été dès le mois de septembre 1938, écartant des propositions telles que le Clair de lune de Schubert, la Chevauchée des Walkyries de Wagner, ou encore, la neuvième symphonie de Beethoven. Finalement, l’enregistrement musical des sept séquences animées se déroule entre avril et mai 1939 par l’Orchestre de Philadelphie.
L’innovation étant au cœur des productions Disney, un nouveau procédé de rendu sonore est créé pour les besoins spécifiques du film : le Fantasound, fabriqué par des ingénieurs du son travaillant pour le studio. En plus de cette technologie, Walt Disney, toujours en avance sur son temps, envisagea pendant quelques temps la création d’un procédé visant à diffuser des odeurs durant la projection du film, mais ce projet finit par être abandonné en raison de contraintes techniques trop nombreuses. Au total, le budget de production s’élève à environ 2,3 millions de dollars, soit un peu moins que Pinocchio (2,6 millions), mais avec tout de même 400 000 dollars de dépenses pour la musique.
Pour sa diffusion auprès du public, Walt Disney envisage d’abord une sorte de spectacle itinérant, en faisant une tournée à travers les Etats-Unis, de manière à présenter un évènement culturel plus qu’un film. Mais il doit finalement se résoudre à faire exploiter le film par les salles de cinéma traditionnelles, en commençant par le Broadway Theatre de New-York le 13 novembre 1940. Avec ce changement de stratégie se pose le défi de convaincre les établissements d’investir massivement pour installer la technologie du Fantasound. De plus, la livraison du procédé dans les salles prend beaucoup de temps. Après le Broadway Theatre de New-York, le deuxième cinéma à en être occupé se trouve à Los Angeles, trois mois plus tard, en janvier 1941. Le délai est donc trop étendu pour permettre une exploitation idéale du film, sans parler de la priorité financière accordée par le gouvernement à la défense nationale, en pleine Seconde Guerre mondiale, et qui entraîne l’arrêt de la production du Fantasound. Il faut également savoir que de nombreux cinémas ont été réticents à l’idée de l’installer, craignant que les revenus du film ne permettent pas de rentabiliser le coût d’installation du Fantasound. Au final, sur les 76 salles prévues, seules 14 finissent par être équipées du procédé sonore. Avec seulement 325 000 dollars de recettes, Fantasia ne rencontre pas le succès espéré. Parmi les explications fournies, pour certains, le public n’était pas motivé à l’idée d’assister à un spectacle de deux heures aussi exigeant sur le plan culturel.
Face à cette déconvenue, Walt Disney se retrouve au pied du mur. Après l’échec financier de Pinocchio, la ressortie de Blanche-Neige et les Sept Nains dans les salles avait permis de combler une partie du déficit, mais cette stratégie ne peut être répétée une seconde fois. A partir de janvier 1941, une version légèrement plus courte et débarrassée des intermèdes ainsi que des interventions du narrateur est distribuée sur le territoire américain. Mais l’ambiance dans le studio Disney est déjà bien morose suite aux récents échecs et à la politique salariale très stricte de son fondateur, et en mai, la grève éclate. Initialement, Walt Disney avait envisagé ce film comme la première de trois parties, mais ce projet de suite est finalement abandonné. Il faut attendre 1999 et la volonté de son neveu, Roy Edward Disney, pour produire le second volet : Fantasia 2000. Néanmoins, en 1941, Fantasia reste pour Walt Disney un cuisant échec en dépit de critiques positives, mais le climat difficile de sa sortie finit par avoir raison de ce nouveau concept, peut-être trop en avance sur son temps.
Néanmoins, aujourd’hui, Fantasia peut profiter de l’estime et de la notoriété qui lui sont dues. En combinant musique et animation, ce long-métrage novateur permet de visualiser la première grâce à la seconde et de matérialiser chacune de ses spécificités. Malgré la quasi-absence de dialogues, Fantasia offre au spectateur une expérience artistique inédite et exceptionnelle, et mérite sa place au Panthéon des « Classiques d’animation Disney ».