Constitué de très longs monologues, débités avec plus ou moins de naturel par des universitaires assis devant le même fond noir, ce film à la réalisation désuète et compassée possède néanmoins un intérêt, sans doute à contrario de son projet initial : mettre en évidence l'emprise obsédante du discours bourdieusien sur l'université française.
Le réalisateur Thomas Lacoste n'est certes pas un mauvais bougre. On sent bien qu'il cherche sincèrement à développer des pistes de réflexion pour une société future. Mais à vouloir donner la parole à tout ce qu'il considère comme pensée hétérogène, son projet prend l'apparence d'un mariage de carpes et de lapins, c'est-à-dire qu'il contient tout à la fois des propositions judicieuses et concrètes, mais aussi certains égarements dans lesquelles on reconnaît sans peine l'influence d'idéologies radicales assez inquiétantes, le seul lien entre elles serait le rejet de la mondialisation, commodément assimilée à un impérialisme, celui-ci étant devenue notre nouveau Mal du siècle.
Ainsi, on peut regretter que les paroles fortes et pertinentes de Christophe Dejours, Matthieu Bonduelle, Laurent Bonelli, Robert Castel, Jean-Luc Nancy ou Sophie Wahnich soient suivies ou précédées de sermons éculés sur le capitalisme et la Société du spectacle de vieux dinosaures à la pensée sclérosée comme Étienne Balibar ou Luc Boltanski, de harangues plus ou moins délirantes de sociologues et d'éditeurs bonimenteurs d'un islamo-gauchisme maquillé sous les oripeaux de l'anti-impérialisme, et même de la vestale des gender studies, l'ineffable Elsa Dorlin (dans la gradation de la frénésie sophistique, on attendait Beatriz Preciado et Marcela Iacub ; ce sera sans doute pour le prochain épisode).
Et là même où Thomas Lacoste croit ouvrir des pistes pour un monde meilleur, on peut y déceler justement les prémices d'une pensée totalitaire, idéalisme nébuleux tissé de sophismes recyclés de Bourdieu ou Chomsky, à la croisée du pseudo-bolivarisme vénézuélien et des doctrines du chaos des activistes du Net, servi ici comme gélules de prêt-à-penser : glorification de la classe ouvrière, banalisation du discours “anti”, instrumentalisation de la colère considérée comme “légitime” (et de la violence qui s'en suit) et rejet d'un “nouvel Ordre mondial” exécré.
Et oui, ce film est bien un objet de combat, mais au lieu d'un nouvel humanisme, il pourrait, si la société n'y prend garde, préparer en fait le terrain (et peut-être son réalisateur n'en est-il même pas conscient) pour un nouveau fondamentalisme révolutionnaire, une sorte de “populisme social” quelque peu inquiétant, en guerre ouverte contre la démocratie.